Le 30 octobre 2011
Ecrit en parallèle de l’une des enquêtes du commissaire Erlendur (probablement « L’homme du lac », dont il est fait allusion page 145), Betty est un roman noir sans véritable enquêteur puisqu’il se passe après le meurtre et l’interpellation du présumé coupable. Il met en scène une erreur judiciaire et relate la terrible machination qui a conduit à l’arrestation du narrateur, aujourd’hui victime brisée et meurtrie dans tout son être sans espoir de grâce ni clémence réelle du lecteur. Car au fil des pages, le narrateur, sans ambiguïté, se révèle être le coupable idéal et suscite, tout au plus, une légère compassion, de l’attachement, mais peu de colère ou de sentiment de révolte. C’est un piège cruel dans lequel il est tombé mais sa personnalité (tout de même un peu naïve !) l’y conduisait, de toute évidence, et la lucidité avec laquelle il relate les faits, après coup, étonne tout de même un peu mais, hélas, le condamne sans appel. Mais alors, qu’est-ce qui fait que, ce roman captive, se lit d’une traite et surprend même ? Pourquoi le lecteur est, malgré l’absence d’intrigue policière, de suspense véritable et de déductions habiles et perspicaces, séduit par l’histoire ? Lisez et vous saurez. Tout est dans l’art de présenter les faits et la subtilité d’Indridason fait mouche, une fois de plus. Le plaisir d’être surpris, décontenancé, un brin manipulé ravira le lecteur. Et même si l’intrigue n’a pas l’envergure de la série des aventures de commissaire Erlendur, c’est tout de même une agréable lecture.
D’une construction assez classique, le récit est à la 1ère personne et alterne entre présent (les moments de son incarcération préventive) et passé (les faits qui ont conduit au drame) pour s’emmêler ensuite et conduire au jugement final et inévitable. Betty, jeune femme fatale et diabolique, avide de richesse, séduit le narrateur et le mène à sa perte. C’est simple, banal, cousu de fil blanc et pourtant, captivant. La force du détail, les indices révélés après coup, l’étoffe des personnages principaux, le poids de la culpabilité, le contexte finalement réel, ancré dans une réalité économique (le marché de la pêche en Islande) sont autant d’éléments qui donnent de l’envergure et de l’intérêt au récit et retiennent l’attention du lecteur.
Et puis il y a ce malaise qui se répand au fil des pages, des révélations qui deviennent de plus en plus glauques, presque insoutenables et permettent à l’auteur de dénoncer (comme à son habitude) les travers d’une société pourtant moderne et reconnue égalitaire. Indridason n’est pas tendre envers son pays puisqu’il reconnaît que la justice ne protège pas suffisamment les victimes de viol (« Les juges islandais se moquent de ce genre de choses. Tu le sais bien. Tout le monde le sait ») et peut même condamner à tort. C’est d’ailleurs un thème qu’il dénoncera plus longuement dans « La rivière noire », écrit plus récemment. Bref, un pays sombre qui n’échappe pas à la violence, au désespoir, où les différences sont encore mal acceptées, où les inégalités entre les êtres se creusent davantage et créent la désillusion, le renoncement. Et pas d’éclaircie en vue !
Cécile PELLERIN