Le 08 juillet 2018
Si les paysages polaires, spectaculaires, vous attirent, si l’aventure dans un environnement extrême vous tente depuis toujours, il n’est pas certain qu’à l’issue de ce roman “glaçant”, votre rêve d’évasion soit toujours le même.
Aussi, prudence ! En pénétrant dans l’histoire de Sonja Delzongle, très sombre et assez désespérée, le Groenland, la population inuit, l’environnement arctique n’auront plus rien d’envoûtants. Aujourd’hui victime de stratégies militaires issues de la guerre froide et d’un monde moderne toujours plus pollueur, l’île se dénature et meurt peu à peu. Avec effroi et un puissant malaise.
L’horreur absolue qui émerge de ce thriller écologique laisse, par moments, le lecteur chancelant et éprouvé. De l’effroi qui le contracte, de la tension qui le tourmente, du suspense qui le tient en haleine et entraîne une lecture quasi-ininterrompue, il prend conscience, au-delà du divertissement, qu’il y a urgence à préserver ce territoire fragile et clairement menacé. Il en va de la survie de tous.
Inspiré d’un événement historique précis et d’emblée captivant - l’installation d’une base américaine Century Camp, construite en 1959 dans le nord-ouest du Groenland et alimentée par un réacteur nucléaire avant d’être abandonnée en 1967 - l’auteure assure au roman une assise convaincante à laquelle s’ajoutent la description précise et visuelle de paysages et de personnages hors du commun et l’interpénétration plutôt réussie d’intrigues parallèles. Bref, une histoire de haute tenue. Frissons garantis !
Janvier 2017, base Arctica, région de Thulé, Groenland. Un groupe de scientifiques internationaux exerce une mission de veille sur les conséquences du réchauffement climatique. En reconnaissance sur le terrain, ils découvrent, enfouis sous la glace, un troupeau de bœufs musqués. Une hécatombe. “Un immense cimetière de glace.” Impuissant à l’expliquer, Roger Ferguson, chef danois de l’expédition, contacte Luv Svendsen, biologiste norvégienne spécialisée dans ces morts animales de masse.
Eprouvée dans sa vie personnelle et la mort soudaine de sa fille aînée (qu’elle n’a pas élevée), elle-même sous protection depuis une tentative d’assassinat à son encontre, la biologiste, pourtant fragilisée, accepte de se rendre au Groenland. Et là, au cœur de la nuit polaire, du froid intense et de la cohabitation complexe entre les habitants de la base, l’expédition scientifique vire au cauchemar.
“L’aventure absolue est l’Autre. Ses terres secrètes, ses énigmes, ses failles, ce qui se dérobe à l’entendement.”
Dans une ambiance de terreur et de folie, entremêlée de résonances chamaniques envoûtantes et mystérieuses, le roman se déploie sans temps mort. Soutenu par une enquête criminelle secondaire, quelques rebondissements, une immersion dans le passé et les histoires personnelles des personnages, adroites à renforcer l’impression de réalité, il offre une variété de rythmes et d’émotions enthousiasmante, éloignée de tout ennui.
Précis à décrire l’environnement et les conditions climatiques extrêmes (entre -29 et moins 45°C), visiblement nourri d’une recherche documentée et rigoureuse préalable, le récit, même s’il prend des allures de dystopie, invite clairement le lecteur à s’interroger (et à agir ?) sur les catastrophes à venir que le réchauffement climatique promet. “Nous devons tous nous battre. Sais-tu que l’équilibre de la planète repose sur cette île, sur ce coin du globe et qu’il est de plus en plus fragile ?[ …] L’homme est en route vers sa perte. Ca passe d’abord par d’autres espèces, mais la grande extinction est annoncée.”
Cécile PELLERIN