Le 10 février 2018
Témoignage émouvant, roman d’apprentissage, récit d’exil; l’histoire personnelle d’Ali Ehsani, racontée à bonne distance, empreinte de tristesse, de résistance, d’humanité et loin d’être un conte de fées, se fait l’écho réel d’une tragédie, celle de la guerre et de l’émigration politique.
Atténuée par la douceur et l’innocence de l’enfance, dénuée de rancœur mais en même temps lucide et parfois amère, elle se dévoile simplement, sans compassion ni colère et délivre avec justesse les épreuves d’un déracinement, la violence du voyage, la peur et la pauvreté et la lente intégration.
La détermination absolue du narrateur, inébranlable malgré son jeune âge, à la fois ardente et lumineuse, fascine et lie le lecteur de manière intime, durable et responsable. Solidaire tout au long du périple, intensément immergé dans ce récit littéraire, il cheminera ensuite naturellement plus loin. Au-delà de la fiction. C’est presque certain.
Aussi emparez-vous de ce livre, transmettez-le, aux jeunes notamment. Il justifie sans long ni difficile discours la nécessité d’ouvrir les frontières.
“En Afghanistan, il y avait la guerre et je croyais que c’était partout pareil parce que je n’avais jamais rien vu d’autre.
Tous les jours, un missile partait détruire quelque chose, même si on ne comprenait pas bien qui était contre qui.”
Ali a huit ans lorsqu’il quitte l’Afghanistan avec son frère aîné. A Kaboul, un missile a décimé leur maison ; leurs parents ont été tués. D’origine turkmène, menacés par les Talibans autant que par Daech, ils fuient vers un pays plus calme, quelque part en Europe, sans savoir exactement où.
Un voyage qui traverse le Pakistan, l’Iran, la Turquie puis la Grèce et enfin l’Italie, terre d’accueil. Cinq années d’exil où le jeune enfant découvre que la guerre n’existe pas partout, que son frère et lui peuvent parfois se promener librement mais qu’ils sont aussi mal considérés en Iran, exploités car clandestins, chassés et violentés en Turquie, réexpédiés dans le camp iranien de la ville de Zahedan.
Un périple à pied, en bus, en camion sur les routes chaotiques, poussiéreuses et dangereuses et à travers les montagnes, où la soif et la faim, la fatigue, la chaleur ou le froid, menacent la volonté de poursuivre mais où l’amour fraternel, la communauté afghane en exil et la solidarité de certains habitants des pays qu’ils traversent sauvent du désespoir et de la mort.
Puis viendra la traversée en bateau, éprouvante lorsqu’on ne sait pas nager, périlleuse lorsqu’on n’a pas d’argent, renouvelée plusieurs fois, jusqu’à “la terre promise qui n’existait que dans nos têtes”.
Cinq ans pendant lesquels, les souvenirs d’avant affleurent, naissent de discussions ou de rêves, ravivent les amis, les parents, les jeux et les éclats de rires, les paysages de hautes montagnes, les saveurs de plats afghans mais aussi la peur quotidienne de mourir ou de voir périr les siens.
Des ruptures temporelles dans la chronologie du voyage, comme des pauses respiratoires pour supporter l’exil, atténuer la peur de l’inconnu et offrir aux personnages une identité profonde, un vrai visage, une particularité sensible ; au-delà de la représentation plus collective qu’incarne le mot réfugié ou migrant.
Adressé au frère aîné, comme s’il était le garant de cette histoire, le récit du narrateur, souvent dialogué et au présent, très vivant, favorise une proximité avec le lecteur et un rythme souple et agréable, très digne qui ne sombre jamais dans l’excès dramatique. “C’est dur mais c’est mieux que chez nous”.
Et pourtant, les blessures sont ardentes, la tristesse pénétrante, à ce jour inconsolée, (“ je me demande à quoi cela sert d’être heureux si on n’a plus personne avec qui le partager”) mais la pudeur d’Ali Ehsani, accompagné dans l’écriture du roman, par Francesco Casalo (et traduit par Delphine Gachet) restitue avec grâce, l’essentiel : sa légitimité à vivre ici en Europe et le devoir d’hospitalité qui nous incombe à tous.
Ali Ehsani est aujourd’hui étudiant en droit à l’université de Rome. Il a 29 ans.
Cécile PELLERIN