Le 07 mars 2011
Voici l’histoire, sans doute en partie autobiographique, qui a construit l’auteur. A travers une centaine d’années, on découvre, tour à tour, l’arrière grand-mère, la grand-mère et la mère de la narratrice. Un roman peuplée de femmes, qui n’est pas sans rappeler ses livres précédents (« le livre de Dina » ou « l’héritage de Karna »). Vaste fresque féminine, envoûtante et passionnante.
Sara Suzanne épouse un jeune homme bègue pour satisfaire et soutenir une famille pauvre. Mariage de raison et non d’amour, qu’un attachement réciproque, une tendresse partagée rendront finalement supportable. Rien de tragique, donc, juste la vie. De cette union naîtra une multitude d’enfants à Havnnes, un comptoir commercial tout au nord de la Norvège qui vit et survit au rythme des marées, des tempêtes et des hivers rigoureux. Une petite communauté laborieuse où la pêche, l’agriculture et l’élevage permettent de survivre. Une région encore mystérieuse, presque magique (les noms de lieux souvent imprononçables ajoutent à cette magie). Là-haut la vie est une épreuve quotidienne mais le peuple est courageux et travailleur. Les amusements sont rares. La vie impose peu de choix futiles à Sara Suzanne, laissant la raison écraser ses sentiments les plus intimes.
Elida est la 12ème enfant de Sara Suzanne, sa plus jeune fille. Sa destinée est tout autre. Elle épouse, à 18 ans, un homme malade du cœur ; quitte le nord pour la capitale afin de soigner son époux, condamné. Sans doute plus indépendante que sa mère, elle choisit son mari par amour (contre l’avis de sa mère) et l’accompagnera jusqu’à la mort, au détriment parfois de ses nombreux enfants (10), laissés ça et là dans des familles d’accueil ; comme Hjordis, la fille de la narratrice, élevée par une autre femme que sa mère jusqu’à cinq ans . Une vie de sacrifices, finalement, qui l’épuise sans plainte mais traduit sa quête de liberté, son courage et sa détermination.
Herbjǿrg, la narratrice est une des filles de Hjordis, elle est le fil conducteur du roman, le lien entre les différents chapitres qui alternent entre l’existence de l’arrière grand-mère et de la grand-mère. Elle est celle qui imagine la vie de ses ascendants, leur donne une personnalité forte et magnifique et traduit également ses propres souffrances, en filigrane, (« je suis muette et cachottière ») comme pour ne pas atténuer les autres portraits de femmes. Un hommage à des êtres remarquables qu’aucune douleur personnelle ne doit estomper.
Les 6 cahiers qui composent le roman entremêlent les histoires de ces trois (voire quatre) générations sans jamais nuire à la lecture, toujours fluide. Le lecteur jongle avec les années sans s’égarer, accepte d’accompagner Sara Suzanne d’abord puis Elida et de revenir ensuite sur la destinée de Sara Suzanne, des années plus tôt. La construction rigoureuse permet ces allers-retours dans le temps, donne du rythme au roman et cette mise en parallèle de destinées différentes mais intimement liées exprime toute la force d’une famille, son unité malgré les aléas et les différences.
C’est aussi l’occasion de vivre l’Histoire de la Norvège, l’émergence d’une capitale, Oslo et son développement industriel, sa collaboration avec l’ennemi nazi, l’expédition en ballon d’Amundsen ou encore d’évoquer l’écrivain Knut Hamsun. L’auteur ponctue son récit de petites anecdotes historiques, offrant alors davantage de réalité à son roman, un ancrage précis qui lui donne une authenticité, une ambiance particulière.
Un éloge des femmes, à la fois intimiste et universel.
Cécile PELLERIN