Le 22 novembre 2011
Hâtez-vous de lire « Karitas, l’esquisse d’un rêve », récemment paru en points et appréciez au mieux ensuite le second volet de la vie de l’héroïne. Une saga familiale peuplée de femmes charismatiques et déterminées qui réveillent un pays, l’Islande, et offrent au lecteur un grand moment d’évasion et de rêve, un souffle de liberté, de conquêtes justes.
Un roman sur la puissance et la pureté de l’Art, sur son absolue nécessité, sa faculté à alléger les souffrances d’une vie, à créer une émotion unique et inaltérable mais capable aussi d’aliéner et d’isoler.
Un roman fleuve qui déroule un demi-siècle de l’existence d’une femme, Karitas et de ses proches, empreint de vivacité et de lumière, d’espoir, de joie, de sanglots, de force et d’engagement admirables. Le lecteur est emporté, sous le charme d’une femme passionnée et sensuelle, entière et généreuse, sans concession pour elle-même, en quête d’une liberté si exigeante qu’elle devient parfois oppressante et tyrannique. Et il l’accompagne page après page, sans lassitude, s’enthousiasme de sa persévérance, de ses convictions et de sa ferveur. Un livre difficile à lâcher, à l’image d’une rencontre exceptionnelle et exclusive. Un plaisir à s’accorder sans délai ni hésitation. Vite, lisez et savourez, profitez intensément de cette histoire, imprégnez-vous au mieux de sa beauté et pensez-y souvent, lors des choix difficiles. Ce livre vous aidera, c’est certain.
Karitas est « la femme mariée sans mari, la mère sans enfants ». Pour aller au bout de sa passion, la peinture, elle sacrifié son existence de femme, s’est privée de l’amour de ses enfants, de son mari. N’a simplement jamais renoncé. Avec force mais aussi douleur et angoisse, parfois désespoir, elle a tenu bon et peint parce que c’est le seul sens qu’elle peut donner à son existence, sa seule raison de vivre. « Lorsque l’art m’étreignait, lorsque je ne faisais plus la différence entre le matin et le soir, la nuit et le jour, je ressentais un sentiment que l’on pouvait peut être appeler bonheur. » Aussi à travers ses toiles, défilent toute son existence, ses doutes, ses peines, ses choix, souvent mal compris. Au mépris du jugement des autres, de la société islandaise notamment, (encore rurale au sortir de la guerre), assez fermée et étriquée dans une tradition pesante où l’art expressionniste n’a pas vraiment sa place, à des moments où la solitude et la souffrance l’éprouveront douloureusement, elle ne dérogera jamais à son idéal de création. Un art qui la déplace, de Paris à New-York ou Rome, la détache des siens, l’attache à d’autres, avec force et dévouement, affirme son talent, la libère et l’emprisonne tout à la fois, la fragilise et l’émancipe, la fait devenir. Au fil des ses voyages, de ses rencontres, de ses épreuves, ses peintures, d’abord réalistes et figuratives, qu’on accrochait encore volontiers dans les fermes d’Islande, évoluent et deviennent de plus en plus conceptuelles, au plus proche de ce chaos : « montrer ce que j’avais dans les tripes » jusqu’à ce retour ultime en Islande, où elle parvient à peindre ce paysage sublime maintes fois refoulé. Une harmonie parfaite. Un chef d’œuvre pour qui elle aura consacré toute une vie. Maintenant tout s’apaise. Une impression de pureté illumine les dernières pages: « l’œuvre blanche ».
Sa personnalité si forte, le combat qu’elle mène au quotidien pour assumer ses choix de vie difficiles quand on est une femme, son esprit révolutionnaire, en constante ébullition, qu’elle saura transmettre à sa petite-fille, sont un vibrant plaidoyer pour l’émancipation des femmes en Islande et annoncent une nouvelle société plus égalitaire et moderne. Un roman féministe sans doute mais éloignée de toute caricature, tout en finesse, chaleureux alors que la vie est rude et cruelle, sans amertume ni regrets. Résolument tourné vers l’avenir.
Le plus du roman : la description des toiles qui s’égrène au fil des chapitres, cet art qui évolue, s’enrichit des événements de la vie, et montre l’évolution des personnages, seuls éléments datés du roman qui permettent un repère habile, tout comme l’arbre généalogique proposé en fin de roman auquel le lecteur ne manquera pas de se référer de temps à autre pour ne pas se perdre entre les différentes générations.
Cécile PELLERIN