Sur les rayons des bibliothèques, je vis un monde surgir de l'horizon.-Jack London -

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D’acierSilvia AvalloneTraducteur : Françoise BrunLiana Levi ISBN :  9782867465987400  pagesParution : 07/04/2011













Le 02 juillet 2012








Ce livre se respire dès les premières pages. La chaleur vous oppresse et vous rend amorphe, l’air moite, les embruns salés vous collent à la peau. L’exubérance des gens, les cris des femmes d’un balcon à l’autre remontent jusqu’à vous. Toute cette agitation vous bouscule et vous fatigue mais vous avez pourtant envie de rester. Vous êtes en Italie, à Piombino dans la province de Livourne, en Toscane face à l’île d’Elbe. Une ville industrielle, « saturée de métal » et sans grand intérêt si ce n’est son port d’embarquement pour l’île.
Dans un quartier populaire de la ville, des barres d’immeubles -avec vue sur mer tout de même-, où  loge un grand nombre d’ouvriers de l’aciérie Lucchini, résonnent d’un vacarme assourdissant. Mélange de bruits d’enfants, de vaisselle qui s’entrechoque, de scènes de ménage en haute fréquence, de vrombissements de scooters, de conversations animées en bas des tours, joyeuses ou vociférantes, de klaxons de voitures ininterrompus. Ici on vit, on s’agite ("capable de faire la guerre pour une chaussette envolée sur un balcon"), survit même lorsque les conditions de travail à l’aciérie épuisent, rendent parfois nerveux ou désespérés et conduisent souvent à des violences familiales, à des comportements instables et excessifs de défoulement, d’exutoire. Bref, une vie pas toujours drôle et cruelle  mais qu’une jeunesse insouciante et belle, transcende et sublime, rend digne.
Francesca, la blonde et Anna, la brune, à peine sorties de l’enfance, illuminent cet endroit sordide, falsifient la réalité funeste, créent le rêve et l’espoir, délivrent une furieuse envie de vivre. A deux, soudées en un bloc inébranlable, elles incarnent la beauté et la liberté impétueuse, la possibilité d’un avenir encore radieux. Jusqu’à ce que tout s’emballe, que ce besoin d’évasion les submerge et les éloigne, le temps d’un flirt, le temps de l’éveil à la sexualité. Désinhibées et sensuelles, elles suscitent à la fois  le désir et le dégoût, se perdent dans la recherche d’une identité propre, souvent malmenées par une famille, tantôt une mère ou un père absents, dégoulinants de faiblesse, tantôt un père violent, abject ou un frère macho qui protège mal sa petite sœur. Livrées à elle-même, encore fragiles, nul ne semble là pour les protéger, si ce n’est le lecteur, secoué d’émotions, interpellé à la fois par leur vivacité, leur soif de liberté, leur passion absolue et destructrice, exprimées dans une langue énergique, sans concessions. Acérée. A vif.
Le malaise de la société dépeint sans ménagement ni artifice. Un style brut et percutant, tout en effervescence mais empreint de chaleur également. A fleur de peau, ardent. Comme ces  deux jeunes filles.
Et cette envie soudaine de traverser le canal avec elles pour gagner l’île d’Elbe et d’échapper à la fumée des usines qui plombent l’horizon et minent la vie, a  décidemment  quelque chose de bon. Qu’il ne faut pas laisser passer. « Vous avez le temps. En une heure vous êtes à Portoferraio. A trois pas du port, vous avez la plage des Ghiaia, juste là, derrière. Vous vous baignez et vous reprenez le ferry. Franchement, c’est pas le bout du monde ! »
Vite, lisez l’Italie, la vraie, celle qui parle fort, qui lutte et ne décline, pleine d’énergie et de vigueur, tonique, encore gaie. Jamais vaincue.



Cécile PELLERIN