Le 06 août 2016
Même si ce livre est court, vous n’aurez aucune hâte à le voir s’achever. Le calme apaisant, la sensation heureuse et l’émotion bouleversante qui traversent tout votre corps à la lecture sont trop précieux pour le quitter rapidement et ne plus y penser.
“Un rêve agréable qu’on cherche à recoudre au réveil, pour en perpétuer la volupté.”
Ainsi avec une lenteur délibérée, vous savourez chaque phrase, répétez plusieurs fois les passages qui vous éblouissent (et il y en a tant !), osez même parfois la lecture à voix haute, plus minutieuse, pour saisir sans réserve la grâce et l’intensité poétique de l’écriture. Vous vous laissez porter par l’histoire sensible, les paysages impressionnistes éblouissants et le style légèrement patiné, si élégant.
“Cette sensation de réussir à faire exister à l’extérieur de soi, sur du papier, ce qui est mouvant, insaisissable, retranché dans [les] pensées.”
Entièrement absorbé. Vous êtes ailleurs, sur l’île de B. Dépossédé du quotidien, hors de votre temps, presque hors de vous-même. Contemplatif et radieux.
Au début du XXème siècle, Henri, un jeune artiste peintre-graveur, rejoint l’île de B. pour retrouver Youna, celle qu’il a aimée avant d’être conscrit. Il ignore encore qu’il n’y restera que vingt-quatre heures. Lors de cette unique journée où il parcourt l’île à pied, il pénètre intimement (à la manière d’un peintre) les paysages, les ambiances singulières du jour et de la nuit, rencontre des habitants, décrit ses sentiments et sensations ; invite le lecteur loin de l’effervescence de la ville et de l’agitation du monde, à s’imprégner d’une atmosphère envoûtante, sensitive et évanescente.
Dans une langue lumineuse, à la fois précise et belle, parfaitement ajustée à l’histoire, Sophie Van der Linden, saisit l’indicible, conduit le lecteur sans effort à respirer l’odeur de l’infusion aux fleurs de Youna, à contourner le coureur-athlète au comportement de fou, à regarder le ciel comme le fermier solitaire, à prendre parti au jeu de cache-cache pour le cousin de la ville et à veiller sur lui, à comprendre et à apprécier la solitude du musicien, à effleurer la peur du pêcheur, à l’aube de repartir en mer, “qui entend le vent fort souffler et faire crier la toiture”. A devenir “une âme émotionnelle”.
Avec l’odeur du goémon sur la plage, la sensation des épines d’ajoncs ou des tiges d’oyats sur les jambes, le vent tiède, le soleil estival, le lecteur frémit, s’incorpore aux mots, glisse dans le décor, retient ces instants furtifs. Telle une douce étreinte.
“C’était comme une fontaine qui rendrait de l’eau chaude sans qu’on s’y attende. C’était surprenant et délectable.”
La fluidité avec laquelle les scènes se succèdent, presque sans transition, offre au récit une unité délicate, un rythme sans craquelure, presque un tableau unique. La profondeur des personnages, même les plus secondaires, exalte ce sentiment de proximité avec le lecteur et prolonge sa quiétude et son bonheur. Sans contrepartie.
Ce livre est une invitation au voyage, à l’évasion, à l’extase et au plaisir pur. Soyez de cette rencontre rare même si la séparation, ensuite, présage un peu de peine et de tristesse.
Cécile PELLERIN