Le 11 mars 2016
Après un premier roman remarqué sur l'enfance maltraitée, Et je prendrai tout ce qu'il y a à prendre avec la même ardeur et la même puissance, une écriture sèche et cinglante, âpre et percutante, d'une grande maîtrise, Céline Lapertot, jeune romancière, s'intéresse cette fois aux femmes africaines meurtries par la guerre civile du Congo qui deviennent elles-mêmes des guerrières pour échapper à la mort. Déterminées à tuer pour survivre, ôter la souillure et la honte de leur corps violé, leur "corps en ruines".
"je n'ai plus de passé et mon avenir est en jachère".
Face à une caméra, des femmes racontent, à tour de rôle, les circonstances effroyables qui les ont menées à rejoindre l'armée régulière et devenir des lionnes impavides. Privées de leur innocence, endurcies par la douleur et la rage, elles ne vivent désormais que pour la guerre, entraînées, immergées dans les combats sans relâche et sans peur. Comme en famille. A la fois bouleversantes et dignes. Souveraines.
"La guerre donne des couleurs aux joues des femmes".
Séraphine a tout perdu. Les miliciens ont tué son frère, son père et sa mère, violée sous ses yeux puis égorgée avant d'être elle-même "trouée par le sexe des hommes". Sauvée par une faction de l'armée régulière, elle reçoit des soins à la clinique du docteur Basonga, surmonte la fièvre, apprend par Blandine, voisine de chambre et femme guerrière que Dieu ne la laissera pas tomber, qu'il est possible de revenir de l'enfer.
"Quiconque s'empare de mon corps de femme, je le tue".
Psalmodié de phrases prophétiques, le récit choral, témoigne des combats, des luttes intérieures de ces jeunes femmes, Séraphine, Blandine ou encore Nerine, la paysanne, Mélusine, la milicienne et de ce médecin qui se bat pour "faire triompher la vie".
Sans forcément suivre un mouvement chronologique, les voix héroïques se livrent à la caméra, à vif, dans l'urgence, crient la terreur, expriment la souffrance, cette nécessité de tuer pour se protéger, se consoler, manifestent leur force, leurs pulsions de mort qui les unissent toutes viscéralement. Sans pleurer. Jamais. "Les larmes sont faites pour des femmes qui ont des secondes à perdre pour s'enfoncer dans leur infinie tristesse."
Le rythme est intense, pénétrant, martial, redoutable, tranchant comme une lame, cadencé comme une marche. Une tonalité résolue, sans équivoque même si les cheminements intérieurs sont encore sinueux, parfois fragiles, liés aux souvenirs, adoucis par l'espoir d'un pays un jour en paix.
A distance, comme protégé par la caméra, le lecteur est davantage pénétré par la force symbolique et lyrique, presque extraordinaire des personnages plutôt que par leur réalité et de ce fait, s'il est à certains moments, abasourdi, éprouvé, malmené, jamais il n'est submergé par l'émotion. Avide de leur courage, c'est vers la révolte qu'il s'achemine. Sans kalachnikov ni machette. Impressionné et galvanisé par l'écriture de Céline Lapertot.
Cécile PELLERIN