Sur les rayons des bibliothèques, je vis un monde surgir de l'horizon.-Jack London -

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Folle d’absintheVirginie TroussierMyriapodeISBN :  9782359450118143  pagesParution : 08/03/2012













Le 05 mars 2012








Arturo, Antoine, Vincent, Paul et les autres, de Stockholm à Paris, autour de Prune, la jeune narratrice. Une douce oscillation entre amour et rupture, entre absolu et désolation, qui varie au rythme d’une écriture poétique, presque charnelle, enchanteresse et raffinée. Une lecture émotive empreinte d’un vif désir de consolation et de tendresse envers une narratrice, fragile et déterminée, exclusive et nostalgique, presque hors du temps.
Irrésistible car harmonieuse, en accord avec elle-même jusque dans l’extrême, près de la faille parfois, prête à sombrer pour aimer et être aimée. Au-delà des convenances et des principes, elle vit d’extase et de douleur, de peur et de désespoir, d’amertume et de liberté totale. Et en cela, elle impressionne.
Prune, si jeune et déjà si désenchantée (à l’instar de l’auteur ?), semble vivre presque à regrets, dans l’empreinte de ses souvenirs, incapable de savourer le moment présent. « Je vis les choses à l’imparfait ». C’est une drôle leçon de vie qu’elle expose ainsi au lecteur, si particulière et inédite lorsque l’on n’a pas trente ans. « Je vais vivre dans le passé, ou tout faire pour le rattraper […] je préfère la nostalgie au temps présent ». Image romantique d’une jeune femme qui refuse de se projeter, pour ne pas se renier et se blottit alors, tel un enfant, dans les moments rassurants de l’avant, bercé par ses rêves, ses illusions. Au risque alors de voir l’être aimé poursuivre son chemin sans l’attendre. Souffrance et mélancolie agitent son esprit, bouleversent son âme et le chemin devient sinueux, tortueux, semé d’embûches. Difficile alors pour Prune de ne pas vaciller. « Une seule larme dans mon café peut me faire boire la tasse ».
Avancer devient une épreuve redoutable, malmenée par le doute, le désespoir. « Au fait, Arturo, je ne t’ai pas dit, et ne le prends pas pour un ultime chantage, je te vois venir, mais on va m’hospitaliser. Oui, monsieur, c’est grave, bien sûr, tu aurais dû voir que j’ai maigri. » Peu à peu le lecteur se prend littéralement d’empathie pour cette jeune femme, voudrait lui apporter une aide, la rassurer, lui offrir des moments de bonheur et de grâce,  pour lesquels elle semble pourtant prédisposée (elle paraît belle et séduisante, elle est jeune) et comme Antoine, il veut lui dire : « On ne peut pas tout contrôler, et surtout, on ne peut pas revenir en arrière. Il faut avancer. »
Au fil des pages, le lecteur devient vite attentionné et concerné.  Chaque phrase résonne en lui, en profondeur. Chaque mot devient essentiel, presque urgent à lire. Il se dépêche, avale les phrases comme si l’existence de sa narratrice en dépendait, comme s’il voulait l’atteindre avant la chute qu’il pressent, comme s’il se sentait presque en mesure d’être là, au cas où. En vain peut être ? Peu importe, la quête existentielle de Prune, inassouvie et douloureuse,  son mal d’aimer imprègnent le lecteur, l’entraînent inexorablement, l’attachent sans laisser de lest. Le voici bientôt, lui aussi, figé par tant de questionnements, malmené par le doute et le sens de l’existence,  réellement troublé. Dérouté.
Il a envie de lui dire qu’il n’est pas nécessaire d’affleurer la destruction de soi-même pour aimer, que démuni face à la vie, souvent déçu,  il n’y a pas d’autre choix que d’avancer, malgré les doutes, le présent qui flageole et rend triste.  Car il est aussi des doux souvenirs qui mènent plus loin et plus longtemps.
Vieillir, c’est peut être se résigner et s’accommoder de soi-même et des autres, s’affermir sans pour autant se renier ni décevoir. « Les gens qui se sentent bien ont la peau dure comme les éléphants. Ils ont la force des gens sains. »
Une lecture complice et sensible, à fleur de peau, où la difficulté d’être et de pouvoir aimer, le désenchantement, les angoisses existentielles, les fêlures narcissiques s’expriment avec une sincérité délicate, accompagnés d’une mélodie mélancolique et originale dont les douces vibrations tourmentent mon cœur et mon âme. Comme un douloureux bienfait.




Cécile PELLERIN