Sur les rayons des bibliothèques, je vis un monde surgir de l'horizon.-Jack London -

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Il reste la poussièreSandrine ColletteDenoëlISBN :  9782207132562302  pagesParution : 25/01/2016













Le 08 janvier 2016








Même si cette histoire se passe au cœur des vastes plaines de la Patagonie, soyez prêts à être enfermé d'emblée dans un huis-clos oppressant où l'odeur âcre de la laine de mouton va irriter sèchement  votre gorge et entraîner son raclement répété pendant toute la lecture, où le vent, la poussière, l'hostilité du climat vont malmener votre équilibre à chaque page, où  vous allez ressentir  toute la brutalité et la sauvagerie d'une mère envers ses fils ou des frères entre eux et craindre vous-même les coups assenés, la perversité et la folie qui enflent.
Presque irrespirable parfois, ce livre est une épreuve mais vous saisit tout entier. Puissant et redoutable, il ne vous laisse aucun répit ou presque jusqu'à son terme. A la fois terrifiant mais impossible à quitter. Réellement troublant. Incontournable.
"Il faut de la trempe pour vivre ici, car l'existence est raide."
Dans un nature désolée, presque malveillante, loin de la civilisation et de la modernité,  Sandrine Collette (déjà repérée par Des nœuds d'acier en 2013, Un vent de cendres en 2014 et Six fourmis blanches plus récemment) met en scène, l'estancia,  une ferme misérable condamnée par l'élevage intensif des propriétés voisines, où survit une femme marâtre et ses quatre fils. " Parfois elle se dit qu'elle aurait dû les noyer à la naissance, comme on le réserve aux chatons dont non ne veut pas." Des aînés jumeaux, Mauro et Joaquin, un troisième, Steban, simple d'esprit et Rafael le plus petit, souffre-douleur. Le père a disparu mais personne ne semble vraiment le regretter. Ici, l'affection, la tendresse, l'amour maternel n'existent pas, remplacés par le travail épuisant, les coups et les cris, une brutalité sans nom, décuplés sur Rafael qui a trouvé refuge auprès de son cheval et de son chien, ses "uniques complices."
"La mère est son avenir, l'estancia sa destinée et son tombeau."
Un enfer sur terre qu'une succession de petits événements dramatiques va progressivement modifier et faire éclater et dont Rafael tient le 1er rôle, lumineux, presque angélique. Par petites touches et de manière polyphonique, à travers une nature omniprésente et longuement décrite, avec une économie de dialogues, des phrases cinglantes, à l'image de l'ambiance violente et menaçante, très pesante, l'histoire s'intensifie, captive, effrayante et en même temps rédemptrice.
Impossible d'échapper au sordide, aux éclats de voix alcoolisés, aux dettes de jeu, à la haine tyrannique des aînés, à l'avidité et aux insultes, aux soubresauts de la peur, à l'humiliation, à la mort, à la désolation de la steppe devenue trop aride et d'un monde qui s'écroule. Et pourtant, au milieu de cette horreur extrêmement bien décrite, si perceptible qu'elle indispose, naît un sentiment de liberté, d'apaisement et de grâce, une force et une humanité émouvantes qui préservent de l'absolu désespoir et ouvrent enfin l'horizon, desserrent l'étau dans lequel l'histoire s'est structurée avec virtuosité.
"Au fond du ciel derrière le gris, la lumière renaît, une lueur rasante […] Le soleil d'un coup se lève sur l'horizon."


Cécile PELLERIN