Le 09 juin 2018
Les îles Hébrides extérieures, sous la plume de Peter May, sont devenues, au fil des romans, un désir de voyage pour nombre de ses lecteurs, une évasion puissante. Aussi, chaque nouvelle parution qui met en scène ces paysages sauvages et somptueux est-elle attendue avec ardeur ; promesse d’une réjouissance romanesque intense, désormais familière mais toujours attractive.
Cette fois pourtant, malgré la couverture éclatante et adaptée, malgré l’immersion culturelle et précise dans l’univers du tissage et du Harris tweed, malgré l’ambiance insulaire des années 1980-1990, d’un réalisme expressif incontestable, l’écrivain (traduit cette fois par Ariane Bataille) laisse le lecteur désappointé, frustré que des paysages aussi grandioses accompagnent une intrigue, au final, peu convaincante, dont la tonalité mélodramatique et la fin complètement invraisemblable désolent et déçoivent.
Aussi, oubliez cet opus. Même si les îles sont encore à explorer, si les ciels aux couleurs extraordinaires, les lumières éclatantes et majestueuses des aurores boréales ou d’un soleil soudain, le ressac de la mer contre les rochers, le vent violent et la pluie cinglante, l’odeur de la tourbe, la mélancolie traversent encore les pages et délivrent des émotions fortes, des instants magiques et poétiques, ils n’évitent pas le déplaisir. L’agacement. Et si le filon s’était tari ?
Niamh et Ruairidh participent au salon de tissu d’habillement à Paris. Propriétaires d’une entreprise de tissage, Ranish tweed, implantée sur Harris, ils sont venus présenter leurs tissus aux créateurs de mode du monde entier. Dix ans qu’ils sont mariés et qu’ils s’aiment. Pourtant, Niamh semble préoccupée par l’éloignement de Ruairidh. Elle redoute même son infidélité avec Irina Vetrov, une créatrice de mode russe. Un soir, alors qu’il la rejoint pour conclure un contrat, la voiture qui les transporte explose place de la République. Irina et Ruairidh meurent sur le coup.
La brutalité de l’événement plonge Niamh dans une douleur sans nom et au cœur de ses souvenirs de jeunesse. Elle veut comprendre ce qui a pu se passer entre eux, comment leur amour, qu’elle pensait inaltérable, avait pu faillir sans signe avant-coureur.
Acte terroriste ? drame de la jalousie ? L’enquête piétine en France et entraîne le lieutenant Sylvie Braque jusqu’en Ecosse. “Un foutu trou perdu au bout du monde.”
Selon un rythme alterné (qui maintient un certain suspens) entre aujourd’hui et les années 1980-90, l’histoire s’implante sur les îles Hébrides extérieures, saisit l’atmosphère spécifique d’un environnement isolé et hostile, dépeint avec intérêt le mode de vie d’une jeunesse qui rêve d’ailleurs, les rivalités et rancœurs familiales, la solidarité des habitants comme l’absence d’intimité et les ragots, le poids de la religion et des traditions. Attentive à décrire également l’activité autour du tissage, elle soulève, ça-et-là la curiosité et l’intérêt du lecteur.
Par contre, plus maladroit à rendre compte des émois sentimentaux qui caractérisent les personnages principaux, Peter May, menace souvent de sombrer dans la romance. Hormis Niamh (et Ruairidh), plutôt convaincants, les autres personnages semblent manquer de profondeur pour séduire, bouleverser ou persuader. Demeurent à distance du lecteur (notamment le lieutenant Braque, dont la vie personnelle compliquée aurait pourtant pu impliquer davantage celui qui lit ou bien l’amie d’enfance de Niamh, Seonag, d’emblée dévoilée. Avec si peu de mystère, elle n’intéresse pas vraiment non plus).
Enfin les fausses pistes, trop évidentes, et la fin (vraiment décevante) n’apportent pas de rebondissements enthousiasmants. Cependant le voyage dans l’archipel écossais, magnétique et empreint d’une belle mélancolie pénétrante, atténue ces revers. Ouf !
“Les panoramas n’avaient rien de comparable. Les montagnes de Uig et Harris, vers le sud. Les aurores boréales, tard le soir, vers Ness. Les fleurs du printemps et de l’été transformant la lande morte de l’hiver en une mer de couleurs chatoyantes. Le soleil et la pluie formant des arcs-en-ciel à foison […] Les tempêtes de l’Atlantique frappaient les falaises qui se dressaient obstinément depuis la nuit des temps contre les forces océaniques.”
Cécile PELLERIN
Du même auteur sur lalectrice :