Le 18 mars 2018
Toujours très proche d’une réalité sociale actuelle, les romans policiers d’Emmanuel Grand témoignent sans détours et en détails d’une intrigue efficace, solide et convaincante. Ils permettent, à chaque fois, de pénétrer une ambiance précise, d’une densité quasi-documentaire mais qu’un rythme vif, une langue énergique et spontanée, une intention ardente de divertissement et d’évasion, éloignent de tout ennui ou lourdeur.
Vibrante, efficace et engagée, plus vraie que nature, cette historie socio-économique et politique qui met en scène la France, la RDC et la Chine aurait pu, incontestablement, être à la Une de l’actualité internationale.
Absolument bluffante pour un non-initié en géopolitique, d’une imagination si précise qu’elle se confondrait aisément à la réalité, elle laisse le lecteur préoccupé et inassouvi, curieux d’en savoir plus sur les manœuvres sordides autour de l’exploitation des matières premières énergétiques et minières sur le continent africain.
Désormais mûr pour une investigation plus profonde, le voilà prêt à délaisser un moment le roman et à suivre les conseils cinématographiques de l’auteur. Ou quand le polar éclaire et éveille ! Merci Emmanuel Grand.
L’enquête subtile et complexe, vécue et racontée de plusieurs points de vue différents, initiée par des personnages assez nombreux au départ mais dont l’envergure se développe, se précise et s’apprécie au fil des pages ; étoffée d’un contexte géopolitique et historique assez trouble indissociable de spéculations financières, peut, à certains moments, échapper à l’attention du lecteur.
Mais s’il accepte de se laisser porter jusqu’à la deuxième partie, alors il va connaître l’emprise du continent noir, ressentir sa chaleur, sa lumière, les pistes de terre, la boue et la poussière, les bruits et les odeurs ; il va pouvoir entendre la clameur des supporters des
Léopards
, rêver d’une Primus mais craindre aussi les balles de mercenaires enragés. Bref, il va y être dans la province du Haut Katanga !
“Tous en route pour construire le plus grand marché du XXIème siècle.”
C’est donc précisément dans cette région que l’entreprise minière française Carmin s’apprête à inaugurer son partenariat avec un groupe chinois, Shanxi. Ensemble, ils vont exploiter un gisement de cuivre.
“Kisanga… Je vous l’ai dit, c’est le jardin d’Eden. Ce pays suinte le cuivre. La terre est rouge comme le sang. C’est le paradis pour des gens comme vous.”
Actionnaires, investisseurs et politiques se réjouissent de cette alliance inattendue sur le sol africain. Les délais sont courts mais Olivier Martel, l’ingénieur français dépêché sur place, rigoureux et compétent, remarque rapidement des incohérences et des failles notables dans ce contrat.
Affecté par la disparition troublante et récente d’un collègue en Afrique, mis en relation avec un journaliste d’investigation, Raphaël Da Costa, autrefois engagé dans une affaire impunie impliquant des politiques et une filiale de Carmin, le jeune homme, malgré lui, va enquêter sur la société qui l’emploie et sur son président, Alain Butard et découvrir des complicités douteuses, amorales et criminelles entre cette dernière et le gouvernement français.
Un vrai scandale d’Etat que Pierre Lauzière et sa petite équipe de mercenaires vont tenter d’étouffer pour ne pas nuire à la campagne électorale pour les municipales du ministre des Affaires étrangères, François-Xavier de Meyrieux.
Sur fonds de conflits armés entre pays africains, d’opérations humanitaires menées par la France dans les années 1990, d’embargo sur les minerais, d’implantations chinoises, d’intérêts commerciaux vénaux, de rétro-commissions au profit de responsables politiques et d’enfants esclaves, Emmanuel Grand, à travers suspense et rebondissements saisissants, dresse une image inquiétante et inégalitaire des effets de la mondialisation en Afrique et engage, plus qu’il n’y paraît, le capitalisme ultra-libéral qui mène le monde aujourd’hui.
Explicite et influent.
Sélectionné pour le Prix Landerneau 2018.
Cécile PELLERIN