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La voix de ceux qui crient : rencontre avec des demandeurs d’asileMarie-Caroline Saglio-YatzimirskyAlbin MichelISBN :  9782226402592320  pagesParution : 07/03/2018













Le 30 juin 2018








L’ouvrage de Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsy, psychologue à l’hôpital Avicenne de Bobigny depuis 2010, a trouvé le juste équilibre et la bonne distance entre le devoir de confidentialité et la nécessité de transmettre.
S’il se fait l’écho souvent douloureux et violent de paroles de migrants, il témoigne aussi avec intérêt du travail quotidien de la psychologue clinicienne. A terme, il interpelle clairement le lecteur-citoyen sur la place de l’étranger en France aujourd’hui et sur la nécessité urgente de reconsidérer son accueil.
Sobre et précis, décentré de tout excès de tension émotionnelle mais empreint d’humanité, il rend compte des traumatismes psychiques importants dont sont victimes la plupart des demandeurs d’asile qui abandonnent leur pays, leur famille ; met à nu l’insécurité permanente, l’attente interminable, l’impossibilité de travailler, le sentiment de déclassement et toutes les autres étapes qu’ils auront à franchir pour tenter de reconquérir une identité perdue, retrouver leur nom et reprendre une place dans le réel.
“Je fais le pari de soigner des personnes et non pas des symptômes.”
Ainsi, grâce à une grande sollicitude, une écoute professionnelle et humaine à la fois, l’auteure libère leur voix avec dignité et empathie, délie progressivement la parole sans jamais l’usurper. Ainsi écrites et transmises, ces voix peuvent s’inscrire durablement dans notre mémoire et notre conscience et aider chacun d’entre nous à porter un regard différent sur la douleur de l’Autre. Et face aux tentations de repli nationaliste qui s’éveillent partout en Europe, face à la “maltraitance” des demandeurs d’asile ce témoignage est plus qu’indispensable.
En faisant le choix de s’attarder sur quelques patients précis mais représentatifs des trajectoires des exilés, l’auteure offre au lecteur une proximité avec le demandeur d’asile, lui ôte son anonymat de migrant, convainc avec force que ce sont avant tout des êtres humains en détresse et vulnérables qu’il faut soutenir et soigner, à défaut de pouvoir guérir.
“j’avais tout, j’avais ma famille et mon métier, je n’ai plus rien, je ne suis plus rien.”
Violentés par le déplacement à la fois géographique, culturel et psychique, éprouvés par l’errance et la peur, la perte de contrôle, l’incertitude, la culpabilité d’avoir survécu, la honte ; fragilisés par une langue qu’ils ne maîtrisent pas encore, des démarches administratives anxiogènes, une attente passive et la méfiance d’une partie de la population, ces hommes et femmes sont tenus de vivre à l’extérieur de la société qui les entoure, sans droit d’existence véritable et dans une solitude immense. Un temps suspendu pendant lequel, parfois, la dépression, l’envie de suicide, l’agressivité s’installent et nécessitent une prise en charge thérapeutique.
Le regard de la spécialiste, parfois très technique, vis-à-vis du comportement de ses patients est inévitablement traversé par des émotions, doit faire face à des sollicitations sociales et non plus médicales. Analysé avec rigueur, décomposé dans les moindres détails, il permet au lecteur de saisir ”l’alliance thérapeutique” qui se crée entre le patient et la psy, “le lien de sécurisation vitale pour que le sujet se (re)construise.”
Ici, dans le pays dit d’accueil, ces réfugiés n’ont plus la parole, dépossédés de leur langue. En les écoutant, Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, leur permet de réintégrer le monde. Leur permet de revivre.
Au-delà de l’expérience professionnelle qu’il dépeint, l’ouvrage souligne également combien l’écoute, précise, patiente et bienveillante est un besoin aussi vital que manger et dormir. La parole échangée qu’elle fait naître, entre nous et eux, est le garant d’une fraternité réciproque.

Cécile PELLERIN