Sur les rayons des bibliothèques, je vis un monde surgir de l'horizon.-Jack London -





Laurence Vilaine, rencontre du 16 juin 2012

Laurence Vilaine est l’auteur du très beau roman  « Le silence ne sera qu’un souvenir » (Gaïa).Dans une langue poétique et lumineuse, elle offre la parole à un peuple opprimé, les « Roms » et libère uneémotion puissante, sensible et envoûtante, prolongée bien au-delà de la lecture, tant elle pénètre au cœurde l’humain. Un livre précieux qu’il vous tardera de partager avec ceux que vous aimez.


Depuis près d’un an, Laurence Vilaine va à la rencontre de ses lecteurs, échange sur son roman avec beaucoup de simplicité, une grande sincérité et un plaisir réciproque. Au détour d’une petite ville de l’ouest, un samedi de juin, elle s’est prêtée au rituel des questions. Une conversation chaleureuse mêlée de doux silences bienveillants, qui s’est achevée,  bien à regret.
CP : D’où vient l’envie d’écrire sur les Roms ?LV : Je n’ai pas décidé d’écrire sur les Roms. Cela est venu naturellement. Une image, au départ. Une jeune femme en robe blanche court dans une rue sombre sous la pluie. Je suis cette femme pour connaître son histoire. Elle traverse un pont sous lequel coule un fleuve, le Danube, forcément. Au-delà du pont, un camp de Roms. L’histoire se passe en Europe de l’Est, c’était une évidence pour moi ; en Slovaquie, pays que je connais bien.
CP : Cette histoire s’inspire-t-elle néanmoins de rencontres, de voyages, d’une recherche bien documentée ?LV : Je n’ai pas rencontré de Roms en Slovaquie. Mais ce pays me touche par son atmosphère, sa culture. Je suis attirée par les « Roms », les femmes notamment et en même temps je ressens de la pudeur. J’ai envie d’aller à leur rencontre et je n’ose pas franchir le pas. Qui suis-je en fait pour aller à leur rencontre, quelle légitimité ai-je ? Aussi peut être ai-je franchi le pas de la rencontre par l’écriture. J’ai pu les atteindre par ce roman. Ensuite, lorsque les personnages sont venus à moi, je me suis documentée sur ce peuple. Trois lectures ont été importantes : « Mangeurs de chiens » de Karl-Markus Gauss, « Enterrez-moi debout » d’Isabelle Fonseca et « Je suis née sous une bonne étoile » d’Ilona Lackova. Mais les personnages sont tous sortis de mon imaginaire.
CP : Diriez-vous que votre livre est un livre engagé ?LV : Ce n’était pas mon objectif. C’est en me documentant, que j’ai découvert l’histoire du peuple Tzigane et les persécutions dont il a été victime, comme la stérilisation forcée des femmes. Après ces lectures, il devenait évident que mon livre devait rendre compte et dénoncer ces oppressions. Je ne pouvais rester muette. Un sentiment de révolte est né en écrivant et, à travers le personnage de Miklus, j’ai souhaité l’exprimer.
CP : La musique est omniprésente dans votre roman. Quel est votre rapport à la musique ?LV : Je ne joue d’aucun instrument et certains disent même que je ne chante pas très bien, que je n’ai pas l’oreille musicale. Mais le violon me donne la chair de poule. Je pense que l’on peut être touché par la musique sans être musicien. J’avais besoin, envie d’exprimer l’émotion qui me traverse, lorsque j’entends le violon tzigane. Cette chair de poule, je voulais la communiquer.
CP : Dans presque toutes les interviews que j’ai pu lire, on vous interroge sur le peuple Rom et vous répétez que c’est l’écriture qui vous a conduit vers les Roms et non l’inverse. Ce livre aurait-il dépassé votre intention première ? A-t-il été perçu finalement comme vous l’escomptiez ?LV : Le retour des lecteurs a été différent de ce à quoi je m’attendais. C’était peut être très naïf de ma part mais je ne pensais pas être étiquetée « Roms ». Mais au final, je suis contente de cela. Mon roman aurait pu se passer dans une autre communauté, une autre minorité. Je cherchais avant tout à raconter  « autour » des gens opprimés, d’une manière peut être un peu plus universelle. Je voulais parler du poids du passé, de l’héritage plus ou moins lourd que chacun porte. Je voulais parler du silence que l’on met souvent sur ce passé et qui finit par devenir encore plus lourd que le poids du passé. De ce silence qui se brise parfois et offre ce sentiment de légèreté, si doux.
CP : Ce livre et le succès qu’il remporte change-t-il votre façon de vivre ?LV : Non, pas vraiment. Mais cela donne confiance en soi. L’écriture faisait déjà partie intégrante de ma vie. Ce qui a changé c’est le sentiment de ne plus être seule devant mon texte désormais, de pouvoir le partager. Je crois, qu’au fond de moi-même, j’ai toujours voulu écrire et le transmettre aux autres.
CP : Ce succès vous fait-il peur ?LV : Oui et non. Cette reconnaissance était nécessaire. Elle est aussi  très précieuse. Elle est pour moi, un cadeau énorme. On est seule en écrivant, avec ses joies mais aussi ses doutes. Je me suis souvent demandée : « est-ce que mon histoire va intéresser le lecteur ? ». Puis le retour de l’éditeur a brisé ce sentiment de solitude.  Avec la publication du livre, j’ai pu donner vie à ce qui sort de mes tripes et lorsque, en plus, les gens sont touchés, c’est une grande satisfaction.Aujourd’hui, j’ai un peu peur avec le 2ème roman. Je n’ai pas envie de décevoir le lecteur, l’éditeur et moi-même.
CP : Un 2ème roman est donc en préparation. Pouvez-vous en parler ?LV : Il est trop tôt pour en parler. J’ai hâte d’être au cœur de l’histoire. Je sais où je vais. J’ai déjà le début et la fin. Mes personnages sont là, j’apprends maintenant à les connaître. Même si mes personnages sont là aussi imaginés, j’y mets forcément un peu de moi-même. Ecrire sur les êtres opprimés, c’est le fil rouge des mes romans.L’écriture du 1er roman a été chargée d’émotions et je pense que ces émotions sont parvenues jusqu’au lecteur. Puisse l’émotion être présente dans l’écriture du 2ème. C’est un moteur dans la vie et l’écriture. Sans émotion, il n’y a pas de rencontre, pas de livre possible.
CP : Comment travaillez-vous ?LV : J’écris surtout le matin mais mon livre s’écrit tout le temps et partout. Il m’occupe l’esprit. Quand j’écris, j’accepte de me laisser aller, de «  lâcher ». J’accepte, par exemple, de commencer une phrase sans savoir où elle va finir ou m’emmener. Je suis prête à accueillir les choses.
CP : Votre écriture est poétique, ultra-sensible, prend aux tripes mais reste délicate, sans excès, toute en retenue. Est-elle facile à venir ou au contraire, très travaillée ? LV : L’écriture peut venir naturellement. Parfois les phrases sonnent justes, parfois je les retravaille jusqu’à atteindre une musicalité dans la langue (même si je ne suis pas musicienne !).  Pour moi, l’écriture est avant tout Poésie.
Puis j’ai retrouvé le silence. Ai repris le livre, tourné les pages et la musique des mots a, de nouveau, chahuté mes sens et réveillé un bel éclat de joie. Comme un petit fragment de bonheur à conserver jalousement en souvenir…