Sur les rayons des bibliothèques, je vis un monde surgir de l'horizon.-Jack London -

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Le rouge vif de la rhubarbe Auður Ava Ólafsdóttir  Traducteur : Catherine EyjólfssonZulmaISBN :  9782843047565160  pagesParution : 01/09/2016













Le 02 septembre 2016








Tous les romans d'Auður Ava Ólafsdóttir ont une semblable tonalité particulière, proche de l'enchantement. Difficiles à classer dans la catégorie des "feel good books", à la fois plus subtils et plus poétiques, ils rendent pourtant heureux chaque lecteur qui s'en empare.
L'air de rien, avec une grâce légère, une proximité bouleversante, ils racontent l'ordinaire de la vie, ses tragédies et ses espoirs, dévoilent des personnages attachants,  souvent très sensibles, immergés dans une nature préservée, presque merveilleuse, encore sauvage. D'une sobriété harmonieuse, Ils disent l'essentiel sans exubérance, éclatants et fortifiants à chaque fois. Comme une consolation.
Si la lecture de "Rosa candida" (Points)reste la plus précieuse et la plus inoubliable, "L'embellie" et "L'exception"(Zulma) comme ce tout premier roman qui paraît aujourd'hui, dégagent une tendresse et une douceur, une générosité réconfortantes, une fine drôlerie (si spécifiques à la prose de l'auteure islandaise), que le lecteur a du mal à laisser les mots fuir trop vite. L'évasion est tellement intense, lumineuse et brève (160 pages) qu'il s'efforce de la retenir, remonte les pages, relit certains passages. Pour ne rien oublier lorsqu'un jour, il fera plus sombre.
Au fil des saisons qui passent et des lettres que sa mère, "une âme errante" (scientifique toujours en partance) lui envoie, Ágústína, venue au monde inopinément, élevée par une vieille femme, Nina, amie de sa grand-mère, et fameuse cuisinière, rêve de prendre de la hauteur pour obtenir une vue d'ensemble sur les choses et éviter ainsi de se perdre dans les détails.
"Je compte escalader la Montagne au printemps prochain".
Lorsque le temps le permet, elle se réfugie dans le jardin où pousse la rhubarbe sur en haut du village et s'interroge alors sur son origine, sur son père inconnu, observe les oiseaux, les nappes de nuages, relit les lettres de sa mère, solitaire et rêveuse et parle à Dieu, "seule à seul". Une existence tranquille, à peine dérangée par l'effervescence de Vermundur, le voisin, homme à tout faire et l'agitation de Nina en cuisine.
"Elle est irréparable ; elle a un défaut de fabrication d'origine."
Ágústína  se déplace avec des béquilles. Avec ses jambes d'ange en coton "en contact personnel et presque quotidien avec Dieu tout-puissant", elle rencontre  Salómon, le fils de la chef de chœur, et devient chanteuse dans un groupe. En sa compagnie, elle apprend l'aviron, se met à nager dans la piscine, trouve un ami et se met au défi de réaliser l'ascension de la montagne.
"Délivrée des petites misères du quotidien, elle connaîtrait bientôt la jouissance d'être au-dessus de tout ce qui traîne en bas.".
Une mélodie sans fausse note, immergée dans des paysages de mer et de montagne, où le ressac, les oiseaux, le vent, les pierres du chemin sous les chaussures, le crissement de la neige sous les pas, les gouttelettes de givre, s'échappent des mots,  délicatement saisissables.
"Sa tête est pleine de ruisseaux dorés dévalant des montagnes vers la mer."
Et avec la même gourmandise, le texte exhale des parfums culinaires entêtants, au-delà même de la rhubarbe sauvage. Etourdi par les odeurs mélangées de boudin noir, de fruits au sirop à la crème fouettée, de confitures estivales, d'églefin nappé de beurre, de chou rouge confit, de pâte à beignets ou à gaufre,  de soupe au cacao… le lecteur est littéralement mis en appétit, fêté avec magie.
Ce moment de lecture est une sincère réjouissance, une fenêtre ouverte pour voir au-delà. "La plupart des gens se contentent de regarder sans voir, ou bien, l'on ne regarde pas, mais on voit quand même."


Cécile PELLERIN