Sur les rayons des bibliothèques, je vis un monde surgir de l'horizon.-Jack London -

Voir ou laisser un commentaire

Le verger de marbre Alex Taylor Traducteur : Anatole PonsGallmeisterISBN :  978-2-35178-115-9288  pagesParution : 18/08/2016













Le 04 novembre 2016








Le Kentucky rural, celui des robiniers épineux, des érables et des chênes rouges d'Amérique, des collines boueuses et de la rivière brunâtre et vaseuse, des champs de soja flétris par le soleil, des granges en ruines, des hangars délabrés et des mobile-homes, des potagers où le maïs, les haricots et la canne à sucre poussent en longs sillons verts, celui encore des dancings miteux, de la chaleur poisseuse du sud, des oiseaux qui hurlent dans les arbres ; colore chaque page de ce roman noir, aspire le lecteur, sans possibilité de détours, carrément dominé. Superbement impressionné.
Immergé dans une ambiance ténébreuse et glauque, placé aux premières loges d'une tragédie humaine implacable et suffocante, saisi d'effroi, malmené par la tension qui enfle, il ne peut (il ne veut) pourtant, d'aucune façon, renoncer à sa lecture. A la fois fasciné et envoûté.
Exaltée par des descriptions inouïes, des personnages inoubliables, une unité de temps très resserrée (quelques jours), un rythme intense, une écriture littéraire, précise et fluide, hyper réjouissante (merci au traducteur !), l'histoire n'a de cesse d'éblouir. Crépusculaire et glaçante. Apocalyptique.
Une vraie réussite !
Alors qu'il remplace son père Clem sur le ferry qui relie les berges de la rivière, Beam Sheetmire, adolescent de 17 ans, tue accidentellement un homme qui tentait de lui dérober sa caisse. Faire disparaître le corps avec l'aide de son père ne suffit pas. La victime est le fils d'un truand violent, Loat Duncan.
"Un voyageur à la dérive"
Aussi, pour échapper à la mort et au règlement de compte inéluctable, le jeune garçon fuit. Son absence trahit sa culpabilité et commence alors une chasse à l'homme brutale (et sans échappatoire) au cœur d'une Amérique rurale et rustre, où l'ordre et la loi, administrés par le shérif Elvis Dunne ne sont plus souverains. "Un homme de petite taille avec les mains propres. A la cinquantaine, son visage avait acquis l'aspect rainuré et vaguement éraflé des vieux meubles."
Une échappée vers l'enfer déroutante, marquée par la fatalité, engagée dans une nature foisonnante et hostile mais sublime où le jeune homme rencontre des personnages délabrés, rongés par le mal, la fureur et la folie, tantôt estropié, tantôt sorcier des bois, proxénète ou trafiquant, torve ou inquiétant, instable et cruel ; tous effrayants.
Une ambiance sordide et inquiétante, peuplée de colères et de morts violentes dans laquelle Beam semble presque inoffensif (fragilisé notamment par une narcolepsie), davantage condamné à expier les fautes commises par ses parents, et dont l'histoire trouble d'ailleurs, se révèle au fur et à mesure qu'il  se découvre lui-même. "Il sentait  dans son sang la morsure de quelque chose d'ancestral et féroce".
Absolument désespéré, ce livre âpre et rugueux est d'une puissance redoutable, car, malgré la puanteur et la crasse des personnages et des lieux, redoutablement expressives, imprégnées dans la plupart des pages avec férocité, irrespirables même par moments, il est impossible à lâcher, pétrifie autant qu'il agite. Juste magistral.


Cécile PELLERINPour retrouver une ambiance similaire :