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Les chemins de la haineEva Dolan Traducteur : Lise GarondLiana LeviISBN :  9782867469909448  pagesParution : 04/01/2018













Le 13 janvier 2018








Efficace, dense, d’une construction impeccable et rigoureuse, rythmé avec ardeur, témoin d’une actualité brûlante, le roman policier d’Eva Dolan (traduit par Lise Garond) révolte autant qu’il désespère.
Féroce et palpitant, vif et pénétrant, très noir, il tient le lecteur captif autant par l’intrigue, les fausses pistes et les rebondissements que par l’observation minutieuse des ravages que la crise économique entraîne sur les populations fragiles les plus pauvres et celles des classes moyennes des villes anglaises.
De la perte d’humanité à la barbarie monstrueuse et aux crimes haineux, il n’y a qu’un pas que certains  personnages d’Eva Dolan franchissent sans équivoque et rapidement (lucidement ou non d’ailleurs) tandis que d’autres, plus ambigus, mais non moins sinistres, (à la fois victimes et complices de ce système libéral  inégalitaire) franchissent plus insidieusement et lentement mais avec les mêmes effets dévastateurs.
Resserrée sur une semaine, l’histoire, inscrite dans une réalité précise et nuancée, révélée à partir de personnages solides et tous convaincants est intensément visuelle, quasi-cinématographique, permet une lecture dynamique et vivante.
Le lecteur est associé aux lieux, aux ambiances. Pleinement immergé dans le marasme, la grisaille, l’insalubrité et la promiscuité des quartiers périphériques, il “respire” la pauvreté, l’odeur des bars glauques, l’humidité des logements de fortune, la solitude ;  mal à l’aise, bousculé mais s’accroche aussi à l’intrigue policière, essentielle pour “se divertir” et ne pas  juste sombrer.
Dans une ville  située au nord de Londres, un homme est retrouvé mort, brûlé vif dans un abri de jardin. Difficilement indentifiable, il s’agirait pourtant d’un travailleur immigré estonien. Dans ce quartier populaire de la ville, nombreux sont les étrangers qui espèrent trouver un travail et des conditions de vie meilleures que celles qu’ils ont quittées. Mais entre la crise économique qui fait des désastres au sein même de la société anglaise, entre les groupuscules extrémistes qui les rejettent avec violence, il ne devient pas aisé de trouver sa place et de s’intégrer en Angleterre.
“La direction voulait d’un nom étranger à la tête des crimes de haine, et elle tenait à ce que l’intéressé soit un “immigré”de troisième génération. Quelqu’un juste ce qu’il faut de différent.”
Pour l’inspecteur Zigic qui dirige la section des crimes de haine de la police de Peterborough et le sergent Ferreira, issus eux-mêmes de l’immigration, l’enquête révèle rapidement plusieurs pistes et suspects possibles et s’imbrique rapidement dans une autre affaire de travail clandestin.
“Derrière les maisons existaient un dédale d’extensions illégales et de garages qui étaient reconvertis en logements pourles travailleurs immigrés trop fauchés pour se payer un lit dans une vraie maison.”
Loin des quartiers résidentiels de la ville, surgit un entre-deux mondes, où les marchands de sommeil, les proxénètes, les trafiquants en tous genres, les gangsmasters exploitent une main d’œuvre humaine étrangère et servent une économie libérale, finalement peu soucieuse des droits de l’homme ; plus disposée à réduire les moyens de la police qu’à contrôler les vastes chantiers de construction qui dénaturent l’environnement et asservissent les ouvriers.
Assurément engagé et politique, explosif, le livre d’Eva Dolan est avant tout un polar social, intelligent et passionnant. Il éclaire autant qu’il impressionne et enthousiasme carrément.
Il délivre des effets de tension, de suspense propres au genre et par moments, plus sordide, exprime de la colère, de la douleur et une grande amertume, mais sans jamais perdre sa justesse de ton ni son lecteur, captivé et impliqué de bout en bout.
Décidemment, entre la jungle de Calais dépeinte par Olivier Norek (Entre deux mondes) et l’Angleterre esclavagiste d’Eva Dolan, on peut s’interroger si l’Europe libérale d’aujourd’hui n’est pas en train de perdre son sens de l’hospitalité. Et sa raison.
Oui, on peut en avoir honte.

Cécile PELLERIN

Cette chronique a été précédemment publiée sur le site ActuaLitte.comhttps://www.actualitte.com/article/livres/les-chemins-de-la-haine-long-way-home/86869