Sur les rayons des bibliothèques, je vis un monde surgir de l'horizon.-Jack London -
Les étrangères Irina TeodorescuGaïaISBN : 9782847206487Parution : 07/10/2015224 pages
Le 18 septembre 2015
Après le succès mérité de La malédiction du bandit moustachu couronné d'ailleurs par le Prix André Dubreuil du 1er roman de la SGDL, Irina Teodorescu, avec ce deuxième roman, retrouve un peu l'ambiance onirique des contes populaires de l'enfance et invite le lecteur à pénétrer dans un monde très coloré, tantôt réaliste, tantôt presque irréel et imaginaire, avec une légèreté, une grâce toute primesautière, dont l'écriture se fait habilement l'écho, à la fois fluide, pleine d'enchantement, de fantaisie et de sensibilité.
D'un naturel attachant, sans forcément emprunter un chemin bien tracé, l'histoire défile et se délie, tourbillonne puis s'évapore, volatile mais agréable dans son ensemble. Impénétrable parfois, déroutante ou imprévisible, inattendue plus elle progresse, elle semble vouloir atteindre une dimension soudainement plus recentrée et plus tragique et, à ce moment-là, écarte davantage le lecteur.
Presque mis à distance des personnages, privé un instant de la loufoquerie et de la spontanéité qui les caractérisaient et réjouissaient si intensément sa lecture, il s'éloigne alors un peu, mais sans jamais renoncer à l'histoire car le style et l'écriture d'Irina Teodorescu débordent tellement d'enthousiasme et de vitalité, d'une fraîcheur et d'une beauté si délicates qu'au final, il serait bien inconsidéré d'être déçu. Même un peu.
Joséphine est une petite fille franco-roumaine, espiègle et pleine de fantaisie qui grandit à Bucarest sous le régime communiste, a la chance de voyager librement mais, à Paris comme en Roumanie, elle a du mal à trouver sa place, se sent étrangère et s'interroge beaucoup sans forcément trouver de réponse à ses questions. "Joséphine a des privilèges avec lesquels elle a du mal à composer, elle se dit j'ai le super pouvoir de connaître le goût d'un yaourt à la fraise et j'ai le super pouvoir d'avoir mangé des céréales au chocolat deux cents fois dans ma vie […] Et alors ? Maintenant quoi ? "
Un jour, elle tombe amoureuse de sa professeure de violon qui lui échappe ("son premier amour est parti. Sans dire au revoir"), devient une photographe reconnue et admirée dans le monde entier mais toujours en quête d'elle-même, à l'affût de toutes les nouvelles sensations, dont certaines la submergent parfois.
Photographe des choses intérieures, de l'âme ou de l'ego occidental, bien décidée à créer des "images jusqu'ici insaisissables", elle démarre une série sur les Faux pas et rencontre Nadia. Une passion amoureuse ardente et fusionnelle, très exclusive, naît de la rencontre, et emporte les deux jeunes femmes (et le lecteur) très loin jusqu'à la rupture, le détachement, la fuite et la délivrance. "Pendant quatre ans, Joséphine et moi fûmes un seul corps. Comme des amantes siamoises […] Nous planions ensemble comme une seule […] J'étais son choix et elle était le mien."
Des voix mélangées et sensuelles qui racontent la passion, la soumission et la souffrance, les blessures intenses, l'égoïsme, résonnent de Bucarest jusqu'à Paris et même ailleurs, dans une ville lointaine et exotique, entre rêve et réalité. Des voix qui s'époumonent et s'éraillent, vibrent, restent en suspens parfois, mystérieuses et lointaines, poignantes ou déchirantes.
La première partie du roman, celle qui raconte l'enfance de Joséphine, étonnamment réaliste, imprégnée d'anecdotes amusantes et touchantes dont on soupçonne qu'elles ont été vécues, empreinte d'une tonalité faussement innocente et naïve, d'images toutes en couleurs est un véritable ravissement, un bonheur de lecture qui, s'il se fait plus ténu, dans la seconde partie de l'ouvrage, lorsque l'auteure choisit notamment de s'écarter un peu de cette réalité, résiste quand même plutôt bien aux assauts d'un imaginaire quelquefois pesant.
Cécile PELLERIN