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Monsieur Viannet : “Ce n’est pas parce que tu sais que tu glisses et même pourquoi tu glisses que tu t’arrêtes de glisser.”Véronique Le GoaziouLa Table rondeISBN :  9782710328001204  pagesParution : 16/08/2018













Le 08 septembre 2018








Huis-clos quasi théâtral, ce court roman, d’une intensité lucide assez poignante, introduit le lecteur au cœur d’une existence cabossée, le place au plus près du vide mais, grâce à une écriture resserrée et rigoureuse, une distance adaptée, une émotion digne, il ne sombre jamais dans le pathétique ou l’indécence, compose habilement entre romanesque et réalité sociale. “Dire les mots justes. Dire ce qui est.”
Raconté à la première personne, il emprunte la voix d’une travailleuse sociale et se fait l’écho professionnel et en même temps humain, d’une vie de heurts, de blessures et de failles impossibles à panser.
Mais, au-delà du récit social très convaincant, Véronique Le Goaziou (sociologue), pénètre également l’intimité de la narratrice, rend compte de ses états d’âme, saisit avec précision la progression de la relation qui s’établit entre elle-même et l’homme qu’elle étudie, capte une sensibilité subtile, ne juge ni ne condamne. Elle écoute simplement et transmet sans trahir. Livre un texte authentique et éclatant.
“Je bois parce que je ne fais rien. J’ai besoin de sortir et si je ne sors pas, je vais mourir. Je ne supporte plus d’être enfermé.Mais quand je sors, je ne sais pas où aller et je bois. Je finis dans un bar. Des bars. Alors je reste chez moi. Et chez moi, je bois…”
Monsieur Viannet a cinquante ans. Alcoolique, il vit avec sa femme dans un petit appartement à Paris. Autrefois résident d’un centre d’hébergement, il accepte de répondre à une enquête initiée par une association de réinsertion sociale et effectuée par la narratrice.
Affalé sur son matelas, au fur et à mesure des bières qu’il boit sans arrêt et des cigarettes qu’il fume les unes après les autres, par-delà les sonorités de la télévision qu’il n’éteint jamais et une toux chronique qui trouble ses paroles ; chaque fois aux côtés de sa femme, Monsieur Viannet raconte sa vie de précaire.
“Des cris, du calme, des jurons, du vacarme, du silence.”
Une vie sans droits, remplie de violence et d’ennui, ballottée entre une enfance malheureuse, la prison, les hôtels crasseux, les centres d’hébergement et les cures de désintoxication. Où inexorablement, il sombre peu à peu chaque jour davantage.
Au fil des entretiens (trois au total), des silences et de l’attente, la narratrice, attentive aux moindres gestes de l’homme qu’elle questionne, précise à décrire l’environnement dans lequel il évolue, s’attarde également sur un autre personnage, madame Viannet dont la présence va peu à peu imprégner le récit et ne plus le quitter.
Progressivement, à mesure que les paroles se délient, les trois personnages se lient entre eux. Viscéralement. Page après page, mot après mot, le cercle se resserre mais parvient à intégrer le lecteur dans l’intimité de l’appartement froid et insalubre. Il est pleinement associé au drame d’une vie brisée et sans futur, qui, si elle n’est pas précisément la sienne, comporte bien des reflets de notre société contemporaine et témoigne sans fards de l’Ultra Moderne Solitude et des phénomènes d’exclusion sociale.

Cécile PELLERIN