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Ne préfère pas le sang à l’eauCéline LapertotViviane HamyISBN :  9781097417048152  pagesParution : 11/01/2018













Le 30 janvier 2018








Les deux premiers romans de Céline Lapertot (Viviane Hamy) furent deux lectures puissantes (Et je prendrai tout ce qu'il y a à prendre ; Des femmes qui dansent sous les bombes), exaltées par une écriture cinglante, âpre, redoutable et d’une maîtrise impressionnante, si singulière, très belle.
Dans ce troisième récit, là encore, le style et la tonalité harponnent le lecteur dès les premiers mots et l’entraînent vers une destinée sombre et désespérée mais l’histoire, plus allégorique et mystérieuse, demeure un peu lointaine et les personnages, trop insaisissables pour qu’il s’y attache en profondeur et durablement.
Situé dans un  avenir proche mais non défini précisément et dans une ville imaginaire, le roman de Céline Lapertot (sorte de conte philosophique) s’empare de problématiques actuelles (migrants, extrémisme politique, démocratie vacillante, absence de liberté) et, sous forme de récits alternés, raconte le destin de plusieurs personnages liés entre eux par une catastrophe climatique.
Privés d’eau dans leur pays, des réfugiés assoiffés arrivent jusqu’à Cartimendua, un eldorado qui détient une immense citerne d’eau. Là, ils pourront s’abreuver et commencer une nouvelle vie. Seulement la population de cette contrée se méfie des étrangers (les nez-verts) qui arrivent et menacent son équilibre. Méfiante, hostile, elle n’est pas unanimement disposée à partager cet élément vital et lorsque la citerne explose, un pouvoir tyrannique exerce son contrôle et rationne. Avec force et brutalité.  Une forte haine.
“Comment vivre, comment envisager l’avenir dans un monde où quelques citernes exploséesvalent l’ouverture des camps et l’expulsion des nez-verts.”
Certains habitants, solidaires et humanistes luttent cependant, par les mots ou par les armes, contre cette dictature et tentent de construire une société ouverte et plus tolérante où l’étranger a sa place.
“Moi je voulais juste de l’eau. Puisqu’il paraît que c’est l’eau qui nous donne tout, à commencer par la vie […] Et maintenant je suis morte.Morte dans l’eau […] Mais je peux le promettre, j’aurais partagé le peu d’eau que j’aurais trouvé, si on me l’avait demandé.La pauvreté accable mais ne nous aiguise pas comme des aigles. Je savais être douce […] Nous ne voulions pas déranger.”
Des tragédies humaines où les enfants ne sont pas épargnés, où la peur, la violence, la douleur, la peur de la douleur et la mort colorent chaque page, se déploient avec une gravité et un désespoir teintés de symboles et de métaphores parfois surabondants (et pas toujours limpides).
Le lecteur est alors un peu mis à distance, privé d’un accès spontané, immédiat, sensible, au sujet qui pourtant le retient et l’interpelle d’ordinaire, même si certains passages, notamment ceux qui mettent en scène la petite réfugiée sont d’une force réaliste hypnotique et magnifique.
Néanmoins, il semble impossible de ne pas poursuivre la lecture, ni de s’interroger soi-même sur le regard porté vers ceux qui fuient la guerre ou la pauvreté et tentent d’arriver jusqu’à nous. Incontournable aussi, le trouble, le malaise dont se pare notre conscience lorsqu’elle éprouve (âprement) notre capacité à accueillir, à être solidaire.
Un livre qui nous implique et nous engage. Avec exigence.
Roman sélectionné pour le Grand Prix RTL-LIRE 2018.


Cécile PELLERIN

Cette chronique a été précédemment publiée sur le site ActuaLitte.comhttps://www.actualitte.com/article/livres/ne-prefere-pas-le-sang-a-l-eau-survivre-en-eaux-troubles/87120