Sur les rayons des bibliothèques, je vis un monde surgir de l'horizon.-Jack London -

En Norvège il n’y a pas de véritable parti écolo. La Norvège n’a d’ailleurs qu’un député écolo. Par contre il y a des organisations écologistes actives. C’est plutôt un engagement écologiste citoyen en Norvège, moins politique on peut dire. L’Arctique est devenu l’enjeu prioritaire pour l’économie norvégienne, notamment la mer de Barents, considérée comme le nouvel Eldorado. Statoil, la compagnie publique norvégienne exploite massivement cette zone sans avoir encore les techniques pour faire face à d’éventuelles marées noires. S’il n’y a pas encore d’exploitation pétrolière, il y a beaucoup de recherches et de projets.
Que faîtes-vous quand vous n’écrivez pas ?Je joue au foot quand je peux. J’ai une famille, une femme et trois enfants. Quand je n’écris pas je lis, je fais des recherches, des voyages. Mais je ne sais pas voyager comme un touriste. Quand je voyage, je m’intéresse aux gens, je vais leur parler, écris sur eux. C’est ma nature. J’essaie de faire découvrir à mes enfants  ces régions que je connais bien.
Cécile PELLERIN

Le Détroit du loup, davantage encore que le dernier lapon, laisse apparaître un message d’alerte vis-à-vis de ces contrées de plus en plus surexploitées par l’homme. La menace est-elle réelle ? Y-a-t-il une véritable urgence à sauvegarder l’extrême nord de l’Europe ? La destruction de l’environnement est-elle irréversible, selon vous ?
Si on parle de gaz et de pétrole, il y a un drame qui est en train de se jouer là-haut. Un vrai drame et les Norvégiens sont aveuglés. Ils sont conscients des problèmes. Ils ont fait preuve de vertu dans le passé. Les Nordiques ne sont pas de mauvais bougres, ils ont une conscience et malgré tout ils ne peuvent pas résister à l’appât du gain. Le problème quand on va extraire un baril de pétrole, vous avez beau l’extraire le plus proprement possible, la consommation sera dégueulasse de toute façon. Les Norvégiens sont d’une mauvaise foi totale sur ce sujet. On sait que pour respecter la contrainte du réchauffement climatique limitée à 2°, il faut que tous les gisements existants restent au fond. Ils ont 600 milliards d’euros sur leur fonds de pétrole. Avec cet argent, ils pourraient investir massivement dans la recherche éolienne, dans la recherche sur les batteries électriques. Ils ont l’argent pour ça et leur attitude me révolte.

Dans le Détroit du loup, vous évoquez le métier de plongeur en mer de Barents. Vous inspirez-vous d’une réalité précise ?
Oui complètement. Mais pas tellement sur la mer de Barents d’ailleurs. J’ai transposé plutôt la réalité de la mer du Nord. Il y a peu de plongée en mer de Barents, pour l’instant en tout cas mais ça peut changer. Le ressenti des plongeurs repose sur une réalité, tout comme les expériences et les dégâts dont cette population a été victime. J’avais réalisé des travaux comme journaliste, recueilli des témoignages.
A l’époque, en 2004 je travaillais pour Libération et j’avais fait une enquête sur ces plongeurs, sur un scandale qui avait éclaté en Norvège. Deux plongeurs étaient partis sur les routes, brisés psychologiquement, à la recherche d’anciens plongeurs pour essayer de comprendre ce qui leur était arrivé et  ils avaient découvert que les compagnies pétrolifères et l’Etat étaient conscients des risques mais les avaient cachés. J’ai réalisé en même temps un documentaire pour France 5 (La dernière plongée) puis avec un ami suédois, un livre d’enquêtes paru en Suède. Je m’étais énormément documenté.
Pour écrire le Détroit du loup, je n’ai pas repris cette documentation mais me suis inspiré du ressenti que j’avais gardé, du sentiment de révolte qui m’avait envahi. Je me suis attaché au côté humain, qui m’avait bouleversé à l’époque. Dans les années 70, les « années cowboys », ce ne sont pas moins de 70 plongeurs qui ont été tués, une vingtaine qui se sont suicidés, de nombreux blessés. Aujourd’hui, il y a moins de plongée, justement à cause des risques. Il y  a une législation qui n’existait pas dans les années 70. Ca a quand même évolué.

Pourriez-vous écrire des romans non policiers dans ce même environnement ?
Pourquoi pas. Je ne suis pas marié avec un genre particulier. Cela m’a paru naturel de faire du polar avec toutes les histoires que j’avais. C’était une matière très policière. Cela fait 20 ans que j’écris sur ces régions-là sans faire du polar. J’ai fait des longs reportages pour des magazines, des journaux donc oui, je pense que je n’aurais pas de mal à pouvoir écrire autre chose. Je vois cette région-là d’un point de vue journalistique. C’est une région qui regorge de sujets magazines. J’ai d’autres envies d’ailleurs que le polar. De mon point de vue, c’est une région qui se prête à l’épopée en tout cas. Que Le dernier lapon ou Le détroit du loup soient des romans policiers, c’est presque secondaire. Le polar est un vecteur, un moyen de  transport pour aller explorer les dessous d’une société, d’un territoire…
Effectuez-vous de longues recherches pour écrire vos romans ? Pouvez-vous détailler comment vous procédez pour écrire ? L’inspiration a-t-elle été facilitée par votre métier de journaliste ?
Complètement. Mon inspiration découle de mon travail de journaliste. Je le revendique. L’idée de mes romans sort directement de mes carnets de reportage. Là je suis en train de travailler sur le 3ème opus et je travaille de la même manière. Il y a des domaines que je connais mal. Pour le dernier lapon, je n’y connaissais rien en géologie. J’ai tout appris de zéro. J’ai lu des manuels, j’ai rencontré des géologues, j’ai fréquenté l’institut de géologie. Je voulais comprendre pour pouvoir ensuite transmettre ces connaissances d’une façon légère. J’adore le boulot d’enquête. C’est lui qui m’a poussé vers mon métier. J’adore le terrain, j’adore le reportage, j’adore chercher des gens, chercher des indices, des petites choses bizarres ou insolites, que personne n’a encore montrés. Pour le 3ème livre que je prépare j’ai du rencontrer une trentaine de spécialistes. Cela prend du temps. Je travaille sur le synopsis du 3ème roman depuis janvier 2014. Pas à plein temps, bien sûr. En fait L’écriture elle-même est la partie courte dans l’élaboration du livre. Tout le gros travail pour moi est dans la préparation.
Avez-vous une idée du nombre de romans que vous souhaiteriez écrire avec le  même duo d’enquêteurs, là-haut dans l’extrême nord ?
Pour l’instant, le 3ème est en cours. Je travaille en parallèle sur le 4ème. Le 1er livre c’est le livre de Klemet, le 2ème celui de Nina. En attaquant le 3ème, j’ai réalisé qu’il fallait que je fasse évoluer mes personnages. Les livres de présentation étaient faits, les gens ont découvert l’univers de la Laponie donc il n’y aura pas le même phénomène de surprise. Je dois mener vers autre chose les gens qui vont continuer à me suivre. Je suis donc amené à  projeter  mes personnages pour avoir un développement plus ou moins cohérent de ces personnages, pour savoir où je veux les emmener pour essayer de construire quelque chose qui sur l’ensemble des livres ait une cohérence. Pour l’instant je suis parti sur cinq romans. J’ai déjà l’idée d’une scène finale pour le cinquième qui me conditionne un peu, me donne une impulsion, une direction pour le développement des personnages les uns par rapport aux autres. Pour les 4ème et 5ème j’ai des thématiques assez claires, des environnements particuliers, des idées que j’avais déjà auparavant.
En parallèle, j’ai deux romans historiques, polars ou non, je ne sais pas mais situés dans l’extrême nord. Il y aura un 1er  que je réaliserai à l’issue du 3ème opus. Je ferai une pause avec la police des rennes. Un roman qui se passe au XVIIème siècle, à l’époque de la colonisation. L’histoire va se dérouler sur 65 ans. J’ai déjà mon personnage principal en tête. Je suis impatient de le commencer. Et puis j’ai un autre projet d’un roman qui se passera pendant la seconde guerre mondiale en Laponie, dans un lieu précis duquel on ne sortira pas.
L’ensemble de ces projets vous laisse-t-il le temps de faire encore du journalisme ?
Effectivement, j’ai réduit la voilure. Je ne travaille plus qu’exclusivement pour Le Monde. J’essaie de ne pas trop me disperser. Le Monde m’encourage maintenant à travailler davantage sur des enquêtes plutôt que sur le quotidien. On s’arrange, on s’entend.
Vous sentez-vous écrivain engagé en matière de respect de l’environnement et d’écologie, de défense des minorités, de sauvegarde d’une culture et d’une tradition ?
J’ai l’impression que cela le devient. C’est clair, qu’au départ, il y a des questions qui m’engagent et comme le journaliste n’a pas forcément le droit d’enquiquiner les gens avec des opinions, je me sers du roman. J’ai toujours été sensible aux injustices envers les maillons faibles de la société et si je me suis lancé dans le journalisme c’était pour donner une voix à  des gens, à leurs combats. Le détroit du loup met en scène deux populations, celle des éleveurs de rennes et celle d’anciens plongeurs, sacrifiés à un moment, de façon très différente, au nom de l’intérêt collectif. Cela se fait dans des pays  et sociétés modèles et cela me dérange encore plus. Le côté double morale, double langage, ça m’agace. C’est déjà le travail du journalisme de dénoncer cela, de rapporter en tout cas et si, dans mes romans, je mets en scène certaines personnes, ce n’est pas pour rien.
Concernant l’environnement, les pays nordiques ont aussi un discours de double langage phénoménal, parfaitement rôdé mais si les Norvégiens avaient un tant soit peu de bon sens, ils arrêteraient tout de suite d’aller creuser des puits de pétrole dans la mer de Barents. Or ils continuent et sont coupables de ce point de vue-là, même s’ils prétendent le faire de manière propre, c’est du grand n’importe quoi.
A l’instar de Peter May et des îles Hébrides extérieures, êtes-vous conscient que vous créez chez le lecteur, l’envie du voyage au-delà du cercle polaire. Qu’en pensez-vous ?
Pas du tout. Cela me surprend. Beaucoup de lecteurs m’ont dit ça. Je n’ai pas relu le dernier lapon depuis des années maintenant mais je raconte quand même une histoire qui est dure et les gens me disent Ah ça donne envie d’aller là-bas. Honnêtement je ne me suis jamais imaginé que ça aurait cet effet-là sur le lecteur. Je connais des gens, des Français en l’occurrence qui ont une agence qui organise des voyages à Stockholm et en Laponie et qui offrent à leurs clients Le dernier lapon dans le package.
Avez-vous d’ailleurs reçu des propositions de films ?
Il y a une discussion en cours avec une compagnie suédoise et d’autres sociétés de production françaises et suédoises sont également intéressées.
Avez-vous lu la loi des Sames de Lars Petterson ? Qu’en avez-vous pensé ? Sa vision assez sombre, pas toujours flatteuse  du peuple same est-elle une réalité ou exagérée ?
Non pas encore, par crainte d’être influencé. Mais j’ai rencontré Lars Petterson à Kautokeino par l’intermédiaire d’un journal littéraire suédois. La femme de Lars Petteron travaille au théâtre de Kautokeino ; il passe donc une partie de l’année en Laponie. Il a même des voisins samis qu’il ne rencontre jamais d’ailleurs. Il n’a pas de contact avec eux et cela a  peut être influencé sa vision  de cette société.
Vos livres vont-ils où sont-ils déjà traduits en norvégien (suédois) et même  en same ?
Mes livres sont traduits en suédois, finnois et norvégien. Cela intrigue les lecteurs qu’un Français écrive sur les Sames. Il y a eu de bonnes critiques dans les journaux. J’ai même été sélectionné pour le prix du polar suédois. Des Samis qui l’ont lu sont venus me féliciter.
Votre premier roman avait lieu principalement dans l’obscurité, le 2ème de jour, exclusivement. Comment sera le 3ème ?
Il va se passer à l’automne. La  période n’est pas encore totalement déterminée. Ce sera mouillé et pluvieux. Je n’ai pas encore commencé l’écriture.  Je suis sur le synopsis. Quand je commence à écrire je m’impose une discipline, environ 3000 mots par jour  à peu près, 10-12 pages. En général je me lève tôt. Je peux écrire sur plusieurs périodes. Là je prévois à peu près trois mois d’écriture et après le travail de réécriture peut être aussi long. Je ne suis pas tenu par contrat de respecter une date et cela me va très bien.

Avez-vous vécu en Laponie ?
Vécu, non mais j’y ai passé du temps. J’habite à Stockholm depuis 20 ans. Je vais régulièrement dans le nord pour mes reportages. Quand j’ai réalisé mon documentaire, j’ai vécu plus de deux mois là-haut. Je vivais avec les flics, je patrouillais avec eux dans la toundra, jour et nuit. Le documentaire s’était étalé sur trois saisons mais j’y suis allé en toute saison.

La police des rennes existe donc réellement ?
Elle existe vraiment mais j’ai étendu ses prérogatives à la Suède et à la Finlande. Elle existe en fait en Laponie norvégienne. Ils sont une quinzaine de flics, sept patrouilles de deux policiers qui sillonnent le grand nord. L’essentiel de leur boulot c’est la prévention des conflits liés à l’élevage de rennes. Evidemment ce ne sont pas des Starsky et Hutch. Ils travaillent sur des distances immenses. Ils sont en scooter des neiges ou en voiture ou parfois ils patrouillent en hélico aussi. Ils arrivent généralement très souvent après la bataille. Le flagrant délit ça n’est pas leur truc. Ils développent une façon de faire la police qui est différente. C’est plus de l’ilotage, de la police de proximité mais à une échelle monumentale.
Parlez-vous same ?
Pas du tout. Je sais dire deux mots. Je parle suédois et cela me permet de comprendre et de lire le norvégien et comme les Samis parlent soit le suédois soit le norvégien, on trouve toujours une langue pour se comprendre.

Olivier Truc, romancier d’investigationRennes, mercredi 15 avril 2015

©Paolo Bevilacqua - Alibi

D’où vient votre attirance pour l’extrême nord ?
Mon attirance pour l’extrême nord s’est construite progressivement. Quand j’ai débarqué en Europe du Nord il y a 20 ans je n’avais aucune attirance particulière ni pour le nord et encore moins pour l’extrême nord qui m’étaient totalement étrangers. Je voulais des pays chauds,  partir m’installer au Liban. Ma compagne suédoise est la cause de mon départ pour la Suède. Elle vient du nord de la Suède mais pas de la Laponie. J’ai commencé à explorer le nord par ce biais-là et puis ensuite cela a été des reportages puisque mon métier de base, c’est le journalisme. Au fil de mes voyages, j’ai réalisé que je découvrais une dimension dans le grand nord très différente de ce que je pouvais voir dans le reste de l’Europe du nord et cela m’a de plus en plus intrigué. J’ai découvert des espaces assez vierges, méconnus même des Suédois et des Norvégiens et cela m’a donné de plus en plus envie de les explorer en profondeur.
Comment est née l’idée des romans policiers en Laponie ?
Par hasard. Je ne suis pas particulièrement lecteur de roman policier. Je n’en lis quasiment pas. Depuis 15-20 ans j’avais fait pas mal de reportages dans le grand nord. J’ai fait aussi un documentaire sur la police des rennes. J’ai entendu beaucoup d’histoires, vu beaucoup de personnages qui m’amusaient, m’intriguaient, m’émouvaient. Je suis très sensible à ces atmosphères du grand nord, je suis toujours intrigué que des gens s’accrochent à vivre dans des coins comme ça, qui paraissent inhabitables. Quand j’ai découvert la police des rennes, je m’étais rendu compte que c’était la bonne porte d’entrée pour raconter ces histoires du grand nord. J’avais  eu d’abord l’intention de faire un livre de reportages sur la police des rennes et puis ça a dérapé en polar. Sans que ce soit prémédité mais cela me paraît naturel après coup.

Olivier Truc, écrivain et journaliste français, vit en Suède depuis une vingtaine d’années. Curieux et passionné, fin connaisseur de la Laponie, il est aujourd’hui connu  et reconnu du grand public grâce notamment  à deux romans policiers mettant en scène la police des rennes (Le dernier Lapon et le Détroit du loup, publiés chez Métailié)
De passage à Rennes, il évoque son  métier de journaliste et d’écrivain avec  une sympathie et une réserve toute suédoise. Ni porte-parole du peuple sami  ni même d’associations de défense de l’environnement, Olivier Truc, apparaît pourtant comme un écrivain engagé. Concerné et indigné par l’exploitation massive des ressources naturelles en mer de Barents, sensible à la raréfaction des terres laissées aux éleveurs de rennes, il est  un véritable lanceur d’alerte. A travers ses romans, il entraîne le lecteur dans son sillage, le captive et le divertit autant qu’il interpelle et éveille sa conscience.