Sur les rayons des bibliothèques, je vis un monde surgir de l'horizon.-Jack London -

Votre roman s’inscrit dans une réalité de proximité avec le lecteur. Est-ce une marque de fabrique de vos romans policiers ? En effet. Mon créneau, c’est toujours de mettre des personnages ordinaires dans une situation qui sort de l’ordinaire. C’est un peu ma marque de fabrique. J’aime pouvoir m’identifier aux héros des livres que je lis ou même des films que je regarde.  Du coup, mon imaginaire emprunte le même chemin : les histoires qui me viennent naturellement en tête sont principalement la mise en scène du quotidien qui bascule dans l’horreur.
La plupart de vos personnages semblent proches, très ordinaires. Sont-ils inspirés par vos voisins, vos amis, votre famille ou complètement sortis de votre imaginaire, malgré les apparences ?Les deux. Comme ce sont des personnages ordinaires, je m’inspire de l’ordinaire qui m’entoure, à commencer par moi d’ailleurs. Souvent, les émotions que je décris, je les puise dans mon propre vécu émotionnel, que j’amplifie ou que j’adapte en fonction des besoins de mon histoire et de la psychologie de mes personnages. Mais je ne mets jamais en scène un personnage de mon entourage proche ou lointain. Vu les histoires que je raconte, ce serait terrible !
Tous vos  personnages portent en eux une fragilité, sont l’antithèse de supers héros.  Il n'y a d'ailleurs pas de vainqueurs véritables. Qu'en pensez-vous ? Comme vous l’avez fait remarquer plus haut, ce sont des personnages ordinaires. Je mets un point d’honneur à ce qu’ils conservent cette particularité, avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs grandeurs et leurs bassesses. J’essaie avant tout de les rendre profondément humains mais sans faire dans le roman social. Ça doit rester de la littérature ludique, avec des rebondissements, des coups de théâtre et des climax. Après, c’est vrai que j’essaie de donner à mon histoire le plus de crédibilité possible, même si, sincèrement, je ne pourrai jamais écrire des histoires plus horribles que ce qu’on lit quotidiennement dans les journaux.   
La plupart des descriptions sont si saisissantes  [l'état de manque du drogué, Théo et sa console de jeu, Léa qui laisse son fils seul le temps d'une course, peu tranquille, etc.] qu'elles semblent avoir été vécues. Leur écriture est-elle spontanée ou longuement travaillée ?Ca dépend des situations, évidemment. Pour l’état de manque du drogué, n’ayant jamais connu cet état, j’ai dû me renseigner et lire pas mal de témoignages pour ne pas écrire trop de bêtises. Je réunis toute la documentation dont j’ai besoin, j’en extrais les points communs ou les informations récurrentes et je tente d’écrire une scène qui soit crédible. Pour la jeune maman qui laisse son petit garçon seul quelques minutes devant la télé pendant qu’elle va faire un course à 100 mètres de chez elle, c’est du vécu : en marchant dans la rue, j’ai réalisé que ce n’était pas mon enfant qui était « en danger », il était installé dans le divan, pas de risque qu’il se casse une jambe… En revanche, s’il m’arrivait quoi que ce soit, personne ne savait qu’il était seul à la maison. Je l’ai fait une fois, pas deux. Mais c’est ce qui m’a donné l’idée de cette situation, que j’ai noté dans un petit carnet pour pouvoir l’utiliser un jour. Ce jour est arrivé quelques années plus tard, puisque mon fils a aujourd’hui 14 ans. 
Connaissiez-vous la fin de votre roman lorsque vous avez commencé à l’écrire ?Pas pour ce roman-ci. D’ailleurs, en général, je ne connais pas la fin de mes histoires, excepté pour « Derrière la haine » et « Après la fin » qui sont des romans qui fonctionnent et n’ont de véritable intérêt que grâce à la fin. Dans le cas de « L’innocence des bourreaux », je suis partie sur cette situation de départ, un braquage dans une supérette et toutes les conséquences qui rejaillissent sur l’ensemble des personnages, et j’ai avancé pas à pas dans l’histoire, sans me donner de contrainte, hormis celle de la crédibilité et de la qualité (du moins, je l’espère).
Dans cette histoire, les femmes semblent plus fortes et beaucoup moins lâches que les hommes. Est-ce un parti pris féministe ou la réalité ? Non, pas de parti féministe de ma part (bien que je n’ai aucun problème avec les féministes…). Cela résulte sans doute du fait que la majorité de mes « héros » sont des héroïnes tout simplement parce que je suis moi-même une femme et qu’il est plus facile pour moi de mettre en scène un personnage féminin et de comprendre sa psychologie. A partir de là, je me dois tout de même de leur donner quelques qualités appréciables pour faire en sorte que le lecteur (et moi par la même occasion) éprouve de l’empathie à son sujet. Au début, j’avais imaginé que Théo (l’ado de 15 ans) soit accompagné de son père et je pense que les grandes lignes narratives du roman auraient été sensiblement les mêmes. J’ai finalement opté pour le personnage de la mère vu que j’ai moi-même un fils adolescent et cela me permettait de mieux décrire leur relation, ainsi que toutes les émotions que cette femme éprouve à l’égard de son fils.
Votre histoire déstabilise  et peut mettre mal à l’aise le lecteur car la frontière entre la victime et le bourreau est presque invisible et laisse supposer que n’importe qui  [c’est-à-dire le lecteur, par exemple] est fait de cette ambivalence. Vous le pensez vraiment ?Bien sûr ! Nous sommes tous de potentielles victimes ainsi que des bourreaux en puissance, à des degrés divers et variables selon les multiples périodes de nos humeurs et de nos existences. Ce que je veux dire, c’est qu’on a tous nos moments de lâcheté et nos moments de grandeurs. Poussés à leur paroxysme, ces moments peuvent devenir glorieux ou dramatiques. En abordant un roman dans le genre du thriller psychologique, je vais évidemment pousser le plus loin possible ces différents aspects de nos personnalités afin que le lecteur tremble pour mes personnages. Je ne me targue pas de faire une étude poussée sur le comportement humain. Mais du moins, j’essaie d’allier efficacité et vraisemblance.
Quels sont vos auteurs de référence en matière policière ? Pas vraiment d’auteurs de référence, je peux adorer le livre d’un auteur et ne pas aimer un autre de ses romans. Un roman noir que j’ai adoré, c’est « La maison près du marais » de Herbert Lieberman.
Les romans policiers de Barbara Abel
- L'instinct maternel (2002) Le Masque- Un bel âge pour mourir  (2003) Le Masque- Duelle  (2005) Livre de poche- La Mort en écho (2006) Le Masque- Illustre Inconnu  (2007) Le Masque- Le Bonheur sur ordonnance (2009) Fleuve Noir- La Brûlure du chocolat  (2010) Fleuve Noir- Derrière la haine (2012) Fleuve Noir- Après la fin (2013) Fleuve Noir  - L'innocence des bourreaux (2015) Belfond

Cécile Pellerin

©Fabienne Cresens

Avec ce livre, on est presque dans le huis-clos théâtral (la supérette puis la voiture) ? Qu’en pensez-vous ?En effet. J’aime beaucoup les huis-clos. Sans doute parce qu’il y a quelque chose de terriblement simple dans le huis-clos, et la simplicité est pour moi l’ingrédient indispensable d’une bonne histoire. Et puis, tout le temps qu’on gagne en économie de situation, on peut l’utiliser à approfondir les personnages, ce qui est mon terrain de jeu favori.   
La structure narrative de votre roman permet à chaque personnage, le temps de plusieurs chapitres, de tenir le 1er rôle et offre à la lecture un effet de mouvement et de diversité très agréables. Est-ce difficile à mettre en œuvre ? Cette construction s’est-elle d’emblée imposée à vous ?Ca me sert surtout à ce que le lecteur ne soit pas perdu au milieu des différents personnages. Le risque dans le roman choral, c’est que le lecteur ne s’y retrouve plus, n’ayant pas l’appui visuel du physique pour identifier d’un simple coup d’œil chaque personnage. Et les prénoms ne sont pas suffisants pour les reconnaître : on les oublie, on les confond... Dès lors, leur donner à chacun une histoire personnelle, les mettre tour à tour  au-devant de la scène afin que le lecteur apprenne à les connaître et, du même coup, à s’y attacher, était pour moi une nécessité. Ça n’a pas été spécialement compliqué dans le sens où, moi  aussi, en écrivant, j’ai appris à les connaître et à me familiariser avec eux.

©Laurent Tartavel


Barbara Abel, juin 2015




A l'occasion de la sortie de son nouveau roman policier, L'innocence des bourreaux , Barbara Abel a accepté de répondre à quelques questions. Avec sincérité et sympathie, elle parle de son travail d'écriture, de son souci de mettre en scène des gens ordinaires, d'être proche de la réalité.

Comment passe-t-on du théâtre au thriller ? Dans ma jeunesse, je me destinais à être comédienne. Lasse d’attendre le bon vouloir des metteurs en scène, j’ai décidé de co-écrire avec mon compagnon Gérard Goffaux une pièce de théâtre que nous avons également montée et produite, et que j’ai interprétée. A la fin de l’aventure, j’ai réalisé que j’avais eu autant de plaisir à l’écrire qu’à la jouer. De là est né mon amour pour l’écriture. Par la suite, j’ai trouvé plus facilement un éditeur qu’un metteur en scène et je suis devenue écrivain.
Plusieurs de vos livres ont été adaptés pour la télévision. Que pensez-vous de ces adaptations ? D’autres projets sont-ils en cours ?En vérité, un seul de mes livres a été adapté pour le petit écran : « Un bel âge pour mourir », réalisé par Serge Meynard pour France 2 avec, dans les rôles principaux, Emilie Dequenne et Marie-France Pisier. Je me souviens de l’émotion intense que j’ai éprouvée en découvrant le film lors de l’avant-première dans un cinéma à Paris, juste avant qu’il soit diffusé à la télévision. C’est très étrange de voir sur un écran une histoire que vous avez imaginé toute seule devant votre ordinateur, qui plus est interprétée par deux grandes actrices.  J’ai beaucoup aimé cette adaptation qui, tout en prenant quelques libertés sur le roman (ce qui est normal : j’ai imaginé une histoire destinée à être lue, Serge a imaginé une histoire destinée à être vue), est restée très fidèle à l’esprit et l’ambiance  du bouquin.
Oui, en effet, d’autres projets sont en cours mais comme on le sait, les projets cinématographiques sont très aléatoires. Disons que plusieurs de mes livres ont été optionnés par les producteurs.   
Comment est née l'idée de cette intrigue particulièrement oppressante ? Tout d’abord l’envie d’écrire un roman choral. Mes autres romans mettent en scène un nombre restreint de personnages et, pour une fois, j’avais envie de me frotter à la difficulté de suivre plusieurs personnages. Je voulais également profiter du panel de situations et autres climax que la confrontation dans un moment critique m’offrait. Pousser le plus loin possible toutes les tensions qui se dégagent de ce point de départ. Dès lors, réunir des gens qui ne se connaissent pas dans un endroit neutre a été le moteur qui m’a poussée à choisir cet endroit (une supérette) et cette situation (un braquage).