Sur les rayons des bibliothèques, je vis un monde surgir de l'horizon.-Jack London -






Rosa Montero, Paris, le 3 février 2015











Votre livre questionne sur la douleur, la souffrance et la mort sans jamais anéantir le lecteur ni l'entraîner dans un sombre désespoir. Comment faites-vous pour parvenir à cette apparente légèreté, à ce « bonheur d'être triste » ?Ah, merci beaucoup pour ces si belles paroles... En réalité c'est un apprentissage que je me suis efforcée de suivre tout au long de ma vie. J'ai une théorie selon laquelle nous, les romanciers, sommes plus obsédées par la mort et le passage du temps que les autres... Nous écrivons contre la mort, et nous essayons de lui trouver une place, de la comprendre. De l'accepter, d'une certaine manière. L'Idée ridicule de ne plus jamais te revoir est un livre sur la vie, sur la possibilité d'apprendre à mieux la vivre, plus sereinement, plus pleinement. Mais réussir à vivre avec sérénité et plénitude implique d'être arrivé avant cela à un certain accord avec la mort, la sienne et celle de ses proches. C'est pourquoi ce livre parle aussi de la mort, mais toujours du point de vue de la vie.
Ah, muchas gracias por decirme algo tan hermoso... Pues es un aprendizaje que llevo intentando hacer toda mi vida.  Tengo la teoria de que los novelistas somos personas que estamos más obsesionadas por la muerte y por el paso del tiempo que la mayoria... Escribimos contra la muerte, e intentamos colocarla, entenderla. Aceptarla de algún modo. La ridicula idea de no volver a verte es un libro sobre la vida, sobre la posibilidad de aprender a vivirla mejor, más serenamente, más plenamente. Pero para poder vivir con más serenidad y plenitud tienes que llegar antes  a cierto acuerdo con la muerte, con la propia y la de los seres queridos. Por eso este libro habla también de la muerte, pero siempre desde un punto de vista vital.

De quelle manière avez-vous procédé pour faire fusionner avec tant de réussite, l'histoire de Marie Curie avec des instants de la vôtre et rendre ainsi une émotion immédiatement transmissible au lecteur, car toute proche ?Merci encore! Comme tu le sais, ce livre est né parce que mon éditrice espagnole m'avait envoyé le très court journal de deuil que Marie Curie a tenu l'année suivant la mort de son mari. Il ne fait que 28 pages et elles sont déchirantes, un hurlement de douleur. Mon éditrice voulait que je fasse un prologue dans le but de publier le journal dans une de ses collections de textes courts, mais lorsque j'ai lu ces 28 pages, j'ai compris que ce n'était pas ce que je voulais faire. Je voulais utiliser l'immense figure de Marie Curie pour y projeter, comme sur un écran, une série de réflexions et d'émotions qui se bousculaient dans ma tête et dans mon coeur ces deux ou trois dernières années. Des réflexions et sensations évidentes pour tout être humain lorsqu'il essaie de comprendre ce qu'est la vie. Le livre est donc sorti ainsi, d'un jet, en faisant de Marie la mesure de notre humanité. Le miroir de ce que nous sommes.
¡Gracias de nuevo ! Como sabes, este libro nació porque mi editora española me envió el brevísimo diario de duelo que Marie Curie escribió durante el año posterior a la muerte de su marido. Son solo 28 páginas y son desgarradoras, un aullido de dolor.  Mi editora queria que hiciera un prólogo para publicarlo en una colección de libros pequeñitos que tiene, pero en cuanto que leí esas 28 páginas me di cuenta de que no queria hacer eso, sino que quería utilizar la enorme figura de Marie Curie para rebotar en ella, a modo de pantalla, una serie de reflexiones y emociones que estaban dando vueltas dentro de mi cabeza y de mi corazón durante los últimos dos o tres años. Reflexiones y sensaciones básicas para todos los humanos a la hora de intetar entender la vida. De modo que el libro inmediatamente salió así, con Marie como medida de nuestra humanidad. Con Marie como espejo de lo que somos.

Je ne connaissais pas la vie de Marie Curie et, en lisant votre livre, elle est devenue un personnage étonnamment romanesque. L'était-elle vraiment avant qu'une coïncidence ne vous conduise à écrire sur elle ou avez-vous souhaité qu'elle le devienne ?Mais siiiii, c'est incroyable!!!! C'est parce que la vie officielle de Marie Curie, ce que tout le monde connaît d'elle, n'est que la partie émergée de l'iceberg. Sa vie est bien plus grande, plus paradoxale, plus complexe... Par exemple, ce mélange incroyable de la raison la plus pure et de la passion la plus folle... Comme je viens de le dire, ce choix a d'abord été un hasard... Mais ce qui est certain c'est que je me suis aussi reconnue en elle. Mise à part l'ENORME distance qui me sépare d'un tel génie, la vérité est que nous avons beaucoup en commun, à une échelle pour moi plus minime et humble, bien sûr. Par exemple: ce mélange entre raison et passion; le conflit qui existe entre le désir d'aimer et la soif de liberté individuelle; l'obsession; le perfectionnisme; la conscience du paradoxe de la vie; la préoccupation pour les questions sociales... J'ai même l'annulaire plus long que l'index, comme elle!!!!

















Creo que la culpabilidad es un sentimiento judeocristiano propio de nuestra sociedad ; lo sienten hombres y mujeres, me parece, pero también creo que las mujeres sienten una especial culpabilidad a la hora de romper con el papel tradicional femenino... Como, por ejemplo, la culpabilidad de trabajar y descuidar por ello un poco a los hijos....

Votre livre parle d'une femme et plus généralement s'interroge sur la place des femmes dans la société, sur la difficulté de pouvoir vivre (encore aujourd'hui) selon son  propre désir, sur la peur des hommes face à la réussite sociale de la femme. Le qualifieriez-vous de roman féministe ? Pensez-vous qu'il s'adresse d'abord aux femmes ?Nooooon! Bien qu'en tant que citoyenne je sois féministe, ou plus précisément, antisexiste, je déteste la littérature pamphlétaire. Je ne considère absolument pas mon livre comme un livre féministe, et par conséquent il ne s'adresse pas plus particulièrement aux femmes. Bien sûr qu'il parle de Marie Curie, et qu'une partie raconte les difficultés extrêmes qu'elle a rencontrées du fait d'être une femme, dans une époque où on ne leur permettait même pas d'étudier à l'université. Mais tout d'abord, ce que je décris est une réalité qui affecte autant les hommes que les femmes. Je veux dire qu'ils faisaient partie de cette société et c'est donc pertinent aussi en ce qui concerne les hommes, me semble-t-il. Par ailleurs, la plupart de ces grandes réflexions que j'évoquais et qui m'ont amenée à écrire touchent à des thèmes évidents pour les hommes comme pour les femmes. Par exemple, l'importance de la parole dans la vie des êtres humains; les réflexions sur l'identité; le fait que notre mémoire soit invention; le fait qu'il nous coûte tant de savoir quels sont nos propres désirs, parce que nous passons notre vie à dépendre des désirs que les autres ont pour nous, et sommes particulièrement piégés par l'injonction maternelle ou paternelle... Ou toutes les réflexions sur la douleur, la mort, la perte, le deuil. Face à tout cela, peu importe d'être un homme ou une femme. De fait, nombre de mes lecteurs sont des hommes.
¡Nooooo ! Aunque yo como ciudadana soy feminista o, para decirlo con mayor precisión, antisexista, detesto la literatura panfletaria. No considero que mi libro sea feminista para nada y desde luego no se dirige en primer lugar a las mujeres. Claro que habla de Marie Curie, y hay una parte que narra las dificultades extremas que tuvo que enfrentar por el hecho de se r mujer en una época en la que ni siquiera se les permitía estudiar en las universidades. Pero, en primer lugar, eso es una realidad que afecta tanto a los hombres como a las mujeres ; quiero decir que ellos formaban parte también de esas sociedad y esa es informacion relevante tambien para los hombres, me parece. Y, en segundo lugar, la mayoría de esas grandes reflexiones a las que antes de referia que me llevaron a escribir el libro son sobre temas exactamente igual de básicos para los hombres como para las mujeres. Por ejemplo, la importancia de la palabra en las vidas de los humanos ; las reflexjones sobre la identidad ; el hecho de que nuestra memoria sea un invento ;  el que nos cueste tanto saber cuales son nuestros deseos, porque vivimos más pendientes de cumplir los deseos que los demás tienen sobre nosotros y especialmente atrapadospor el mandato materno y paterno....  O todas las reflexiones sobre el dolor, la muerte, la pérdida, el duelo. En todo eso da lo mismo ser hombre o ser mujer. De hecho, tengo muchos lectores hombres.

Vous écrivez : « tout n'est pas horrible dans la mort ». Pensez-vous (au-delà du temps qui apaise la souffrance) qu'on puisse vraiment se libérer du poids de la mort, de la sienne comme de celle de ceux qu'on a aimés ? Hahaha, à vrai dire si je te réponds sincèrement, je te dirai que mon livre est plus sage que moi... Mon livre porte en lui une sérénité et une acceptation que je crois ne pas avoir atteintes dans ma vie réelle... Ou du moins elles m'échappent tout le temps, hahaha, la vie est compliquée. Mais tu vois, grâce à ce livre il m'est arrivé des choses merveilleuses... Les lecteurs m'ont envoyé énormément de lettres, plus que pour aucun autre livre. Et dans 90% d'entre elles ils me racontaient des histoires liées à la mort... Ils me parlaient de leurs pertes et de leurs deuils. Mais ce qui est extraordinaire, c'est que ces histoires n'étaient ni tristes, ni terribles, mais belles... C'étaient des histoires magnifiques qui célébraient la vie et l'amour. Par exemple, ils me racontaient comment, pendant l'agonie d'un de leurs proches ils avaient passé une après-midi à lui tenir la main, en s'aimant plus et en se rapprochant plus qu'ils ne l'avaient jamais fait, plus heureux que jamais... Et ces belles histoires, ils ne les avaient probablement jamais racontées à personne, parce que ce ne sont pas des choses dont on parle. Le deuil est officiellement toujours un deuil sombre... Mais il peut y avoir aussi beaucoup de lumière dans la nuit. Je me suis alors rendue compte du fait que mon livre avait offert un espace à toutes ces personnes pour qu'elles puissent reconnaître et arracher la beauté qu'il y avait eu dans la douleur. Et tout cela me paraît terriblement émouvant et merveilleux, parce que c'est vraiment là le sens de l'art. Comme le disait Georges Braque, l'art est une blessure qui devient lumière.
Jajaja, la verdad es que si te soy sincera creo que mi libro es más sabio que yo.... Mi libro tiene una serenidad y una acetación que yo creo que no he conseguido en mi vida real.... O al menos se me escapa todo el ratp, jajaja, la vida es complicada. Pero verás, con este libro me ha pasado algo maravilloso.... Me han escrito muchisimas cartas los lectores, más que nunca con ningun libro. Y en el 90% de ellas me contaban historias de muerte....   Me hablaban de sus pérdidas y de sus duelos. Pero  lo extraordinario es que esas historias no eran tristes y terribles, sino hermosas.... Eran bellisimas historias que celebraban la vida y el amor. Por ejemplo, me contaban cómo durante la agonia de alguien querido habian pasado una tarde de la mano, quisiéndose más y sitiéndose más cerca y más felices que lo que nunca habían sido.... Y estas historias bellas seguramente no las habian contado nunca a nadie, porque no son cosas de las que se hable. El duelo es el duelo oficialmente siempre negro.... Pero también puede haber mucha luz en la noche. Entonces me di cuenta de que mi libro había proporcionado un  espacio a todas esas personas para poder reconocer y rescatar la belleza que había habido en el dolor. Y esto me parece tremendamente conmovedor y maravilloso, porque ese es de verdad el sentido del arte. Como decía Georges Braque, el arte es una herida hecha luz.

La façon dont vous rendez compte de la douleur, de la dépression, de cette folie qui entraînent à la dérive est magistrale, extrêmement belle. Ici le langage EST la REALITE. Votre écriture déborde de sincérité mais est-elle impulsive ou, au contraire, travaillée, ciselée jusqu'à atteindre la vérité ?Ah, je suis ravie de toutes ces belles choses que tu me dis! Tu es très généreuse. Eh bien tout cela est très, très travaillé. De fait, le livre, bien qu'il paraisse sans forme, a une structure invisible extrêmement solide. Une structure très narrative. Le problème de certains livres qui ont différents ingrédients et qui manquent d'une action qui les structure, c'est que tu peux être en train de les lire et de les apprécier, mais d'un coup tu les abandonnes pour aller dîner et peut-être que tu n'y reviendras pas. Il m'est arrivé de tomber sur ce genre de livres. Si cela n'arrive pas avec celui-ci (et d'après ce que me disent mes lecteurs, cela n'arrive pas, au contraire, ils semblent ne pas pouvoir le lâcher), c'est justement parce qu'il est construit, parce qu'il a cette structure narrative cachée. Au bout du compte, oui, cette simplicité apparente est très élaborée. John Steinbeck disait: le mieux est toujours le plus simple, la difficulté est que pour être simple il faut beaucoup travailler.
Ah, me encantan todas esas cosas preciosas que me dices !  Eres muy generosa. Pues  todo está muy, muy trabajado. De hecho, el libro, aunque parezca ser informe, tiene una estructura oculta férrea. Una estructura muy narrativa.  El problema de estos libros que tienen diversos ingredientes y que carecen de una acción que los estructure es que puedes estar leyendolo y te puede estar gustando, pero de repente lo dejas para comer y a o mejor no vuelves a cogerlo más, a mí me ha pasado con libros asi. Si no sucede con este (y, por lo que me dicen los lectores, no sucede,al contrario, al parecer no lo pueden dejar) es justamente porque no es informe, porque tiene esa estructura narrativa escondida. En fin, sí, esa aparente sencillez está muy elaborada. John Steinbeck decía : lo mejor es siempre lo más simple, lo malo es que para ser simple hace falta trabajar mucho.

Si je vous dis que la lecture de votre livre m'est apparue comme une heureuse coïncidence (dont la vie et les éditions Métailié m'ont fait cadeau) ; que, peu à peu, je commence à lâcher du lest, me débarrasse de quelques # ;  cela ne devrait pas vous surprendre.  A votre avis,  la littérature peut-elle nous amener à entendre "le chant de l'enfant, splendide sous le figuier" ?Merci ma chère... Eh bien tu vois... on écrit pour apprendre. Tu n'écris pas pour enseigner quoi que ce soit, tu écris pour découvrir, pour lever un interdit, pour comprendre... La littérature, en effet, au moment de l'écrire comme au moment merveilleux de la lire (je suis une lectrice passionnée) nous sauve de l'horreur et nous apprend à vivre.
Gracias cariño... Pues mira.... Se escribe para aprender. No escribes para enseñar nada, escribes para descubrir, para desvelar, para comprender.... La literatura, en efecto, tanto a la hora de escribirla como a la hora meravillosa de leerla (soy una lectora apasionada) nos salva del horror y nos enseña a vivir. 

Quels livres en français pourriez-vous conseillez au lecteur désireux d'en savoir davantage sur Marie Curie ?A la fin du livre je cite les livres sur lesquels je me suis basée pour l'écrire... Je ne sais pas s'ils existent en français ou non. La biographie qu'Eve, la fille de Marie, a écrite, est essentielle. Très belle. J'espère qu'on peut encore se la procurer en France.
Al final del libro pongo los libros en los que me he basado para escribirlo... No sé si estarán en francés o no. Es esencial la biografia que escribió Eve, la hija. Muy bella. Espero que todavia se pueda conseguir en Francia



Cécile Pellerin

Pensez-vous que la culpabilité soit un sentiment féminin ?Je crois que la culpabilité est un sentiment judéochrétien propre à notre société; des hommes et des femmes le ressentent, me semble-t-il, mais je crois aussi que les femmes ont ce sentiment de culpabilité particulier lorsqu'il s'agit de rompre avec le modèle féminin traditionnel... Par exemple, la culpabilité de travailler et de négliger par conséquent un peu ses enfants...

Siiiii, es increíble!!!! Es que la vida oficial de Marie Curie, lo que todo el mundo conoce de ella, no es más que la punta del iceberg, su vida es mucho más grande, más paradójica, más compleja....  Por ejemplo, esa mezcla increíble entre la razón más pura y la pasión más enloquecida....  Como acabo de contar, primero hubo una casualidad.... Pero lo cierto es que también me reconocí en ella. Salvando las ENORMES distancias que me separan de un genio así, la verdad es que tenemos muchas cosas en común, yo a un nivel mucho más pequeño y más mediocre, claro. Por ejemplo: la mezcla entre razón y pasión; el conflicto entre deseo de amar y libertad personal;  la obsesividad; el perfeccionismo;  la conciencia de que la vida es paradójica ; la preocupación social.... Incluso tengo el dedo anular más largo que el índice, como ella !!!! 

©Daniel Mordzinski


De passage à Paris, à l'occasion de la sortie de son nouveau roman "L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir (Métailié), Rosa Montero a accepté de répondre à quelques questions.
"Marie Curie, différente et meilleure que l'immense majorité des hommes."