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La dénonciation BandiTraducteur : Lim Yeong-hee et Mélanie BasnelPhilippe PicquierISBN :  97828097131909272  pagesParution : 01/02/2018













Le 21 mars 2018








Ce recueil de nouvelles écrit dans les années 1990 est un véritable ovni, une lecture tellement improbable et en même temps si effarante qu’il serait dommage de passer à côté. Accessible en poche depuis quelques semaines, hâtez-vous de le découvrir. D’urgence.
Il est un acte de résistance admirable, une preuve incontestable que derrière le rideau de fer de la Corée du Nord, existe non seulement un peuple en souffrance mais également un peuple courageux en révolte permanente contre l’inhumanité du pouvoir totalitaire. Ce peuple doit être entendu à tout prix et ne pas sombrer dans l’oubli ni l’indifférence. Aussi, par engagement, par respect, par solidarité et pour en parler ensuite autour de vous, lisez Bandi.
Bandi (La luciole) vit en Corée du Nord depuis cinquante ans. Porte-parole de ses habitants, il s’inspire de leur histoire douloureuse, de leur  réalité quotidienne pour écrire son œuvre. Non édités dans son propre pays, ses récits ont été confiés à une amie qui a pu fuir hors de la Corée du Nord et aujourd’hui ils parviennent jusqu’en France.
“J’ai écrit ces histoires poussé non par le talent mais par l’indignation.”
Sept nouvelles composent cet ouvrage et ce qui surprend d’emblée, c’est l’atmosphère dépeinte. Elle semble d’un autre temps et le lecteur éprouve dans chaque récit, cette  étrange sensation d’assister à des situations d’une époque lointaine et cet étonnement ne faiblira pas au fil des pages.
Les nouvelles racontent des événements qui se sont tenus entre 1989 et 1993 (sous le règne de Kim Il-sung) et rien pourtant, n’exhale la vie moderne et contemporaine. C’est à mille lieues de notre société occidentale. Comme si le temps s’était arrêté et n’avait pas franchi la frontière. Douloureusement figé.
Car ces histoires sont rudes, d’une tonalité tantôt symbolique, émouvante, triste ou désespérée, empreintes de dérision et de violence, de souffrance, d’ironie féroce, elles mettent à nu la totale absurdité d’un régime fou et liberticide et rendent compte avec émotion et attachement  de la vie quotidienne de gens ordinaires.
Précis à décrire les souffrances des habitants qui vivent pour la plupart dans  la pauvreté, connaissent la faim, le froid, il dépeint avec brio le climat ambiant de délation et de surveillance qui menace chaque habitant qui ne respecterait pas les fondements du régime communiste, ne se plierait pas au culte voué au leader, négligerait les principes révolutionnaires, ne saurait pas par cœur “Je prie pour la santé et la longévité de notre père à tous, le Grand Leader, ” ou ne  ramasserait pas des fleurs à la mort du  dirigeant, etc.
Et à travers quelques scènes, toutes plus édifiantes et éprouvantes les unes que les autres, il raconte notamment l’impossibilité de mettre des double-rideaux à sa fenêtre, de voyager dans le pays sans autorisation préalable,  de se libérer  de son statut d’ouvrière agricole tant que l’âge de la retraite n’est pas atteint, ou pour un journaliste  son impuissance à écrire un article sans qu’il soit soumis au contrôle du rédacteur en chef et à celui du comité du Parti.
Et parmi ceux qui s’opposent, camps de travail, expulsions, déportations, persécutions, voire exécutions publiques sont peines courantes et indiscutables.
“Une vie honnête ne peut se construire que dans un monde libre. Plus on étouffe les gens, plus on les opprime,et plus ils jouent la comédie. Quelle absurdité !”
De cette incursion dans l’impénétrable, accompagnée d’une écriture rythmée et alerte (traduite par Lim Yeong-hee et Mélanie Basnel), le lecteur ressort ébahi et saisi, à la fois halluciné par la résistance silencieuse de ces gens simples et indigné que tant d’inhumanité puisse encore aujourd’hui régner sur un pays entier.
“Parfois, les sanglots étaient eux-aussi considérés comme une rébellion et pouvaient vous valoir la mort. Voilà dans quel monde il vivait.La loi exigeait du peuple qu’il rit malgré ses souffrances et qu’il avale malgré l’amertume.”


Cécile PELLERIN