Sur les rayons des bibliothèques, je vis un monde surgir de l'horizon.-Jack London -

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Marina Bellezza Silvia Avallone Traducteur : Françoise BrunLiana LeviISBN :  9782867467356544 pages













Le 23 août 2014







Après le remarquable premier roman « D’acier », situé dans la ville industrielle de Piombino dans la province de Livourne, aux antipodes de l’Italie touristique et artistique, Silvia Avallone, jeune auteure vraiment talentueuse, entraîne cette fois le lecteur au cœur des Alpes piémontaises, dans une région sinistrée de petits villages moribonds (« des maisons abandonnées au bord de la route se laissaient ronger par la neige et les pluies, les mousses et les lierres »), frappés par l’exode rural, le vieillissement de la population, la disparition de l’industrie lainière (« les squelettes usés des filatures »). Ici les éleveurs ont disparu, la transhumance n’est plus qu’un souvenir, une image d’Epinal.
Dans une Italie frappée durement par la crise, où la jeunesse désenchantée, pointe au chômage ou s’exile vers des pays plus prometteurs, l’avenir n’offre guère d’opportunités heureuses. Pourtant, Marina et Andrea, tous deux originaires de Biella, chacun à leur manière, résistent à la morosité et tentent de tracer leur chemin, d’accomplir leur destin. Pour Marina, 22 ans, aucun doute. Depuis l’enfance, elle est convaincue que sa voix superbe et son corps divin  doivent la mener vers le succès, celui des paillettes et de l’artifice, de la télévision et des soirées mondaines, de Milan à Rome et pourquoi pas par delà les frontières. « Ce qu’elle voulait, c’était triompher. Arriver la première. Remporter Cenerentola rock, s’emparer des vingt cinq mille euros puis voler droit à Rome dans les studios de la Rai, via Teulada, ou à Mediaset, n’importe. Avoir un million et demi de fans sur Facebook, être photographiée dans la rue, être la plus visible, la plus célèbre du monde. »
Pour Andrea, 27 ans, l’accomplissement personnel passe par un retour à ses origines, à sa terre natale. Retrouver l’essentiel grâce au travail agricole et élever des vaches dans l’ancienne ferme d’alpage de son grand-père « abandonnée aux ronces », fuir la société de consommation  à outrance, préférer les circuits courts, devenir sage, philosophe et heureux. «  Etre marcaire, il en rêvait depuis l’enfance. Et il avait réussi […] Il était en paix avec le monde, pour la première fois depuis vingt sept ans. »
Autour d’eux, des amis,  Sebastiano, Elsa, Luca, représentatifs de la jeunesse de la vallée de Cervo, enracinés et attachés à leur région (cet endroit est leur sang) ;  des parents, alcooliques (« le verre de vin bien collé en main »), vulgaires et minables, faibles ou bien bourgeois et rigides, politiciens conservateurs mais tous pathétiques et aimants au final ; un frère lointain… Tout un monde qui gravite autour des deux personnages, forme un ensemble attachant et varié et illustre avec justesse mais aussi tristesse et émotion, une communauté rurale éprouvée, plutôt soumise que révoltée, qui n’attend plus rien, rêve encore parfois mais agit peu, engluée dans un marasme profond.
Au cœur de cette vallée, Andrea aime Marina d’un amour fou alors que tout les oppose. Et c’est cette histoire d’amour impossible (et tragique) mais auquel on voudrait croire qui anime le récit de Silvia Avallone et comble le lecteur. « Marina, même de loin, réussissait à tenir leurs deux vies en échec […] Marina ne pouvait que tout détruire, y compris elle-même. »
Avec beaucoup d’énergie, un élan contagieux et un rythme soutenu, elle dépeint le chemin de chacun,  creuse leurs différences fondamentales et définitives (ce n’est pas un conte de fée) au fil des pages sans pour autant éloigner la passion qui les anime l’un pour l’autre.
Marina, malgré sa frivolité, éblouit par sa détermination, attendrit par sa fragilité. A travers elle, c’est tout un milieu populaire et précaire que l’auteur dépeint,  ce milieu adepte des centres commerciaux, des fast-foods, des émissions de téléréalité,  des shows télévisés, des magazines people mais sans jamais se montrer cruelle ou ironique, avec tendresse et humanité, tout comme elle s’immisce dans le milieu d’Andrea, plus cultivé et instruit mais pas forcément plus ouvert. Deux milieux qui s’interpénètrent par moments (rares mais si intenses et passionnés qu’ils deviennent magiques) mais c’est sans illusions pour le lecteur, lucide et conscient depuis son premier roman, que Silvia Avallone est un écrivain réaliste avant d’être sentimentale.
Il n’empêche, ce livre, souvent pathétique, parfois drôle, cruel et sombre (« ce n’est pas vrai que ce qui compte, c’est où on arrive. Ce qui compte, c’est d’où on vient »), mais pas dénué d’espoir, sensible sans excès, est empreint d’une ardeur, d’un mordant réellement enthousiasmants et de belles convictions, se lit sans effort et procure beaucoup de plaisir, notamment grâce à son style très visuel et des personnages qu’on a envie de protéger sans cesse.




Cécile PELLERIN